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Trois incendies ferroviaires en trois mois : quelques faits
et réflexions
Au cours des trois derniers mois, trois ponts ferroviaires ont été endommagés ou détruits par des incendies dans les régions de l’Oregon et de Washington. Chacun de ces incendies a été allumé intentionnellement. Aucune arrestation n’a été effectuée et, à notre connaissance, aucune de ces actions n’a été accompagnée d’une revendication ou d’une explication.
Mais le monde qui nous entoure est la seule explication dont nous avons besoin.
Alors que nous nous précipitons vers un avenir marqué par des catastrophes climatiques sans précédent et une détérioration écologique totale, les processus d’extraction ne montrent aucun signe d’arrêt… Ils n’ont fait que s’accélérer, les entreprises se précipitant pour exploiter de nouvelles régions de la planète à la recherche de minéraux rares, composants essentiels des puces et des semi-conducteurs, éléments constitutifs de nos nouvelles prisons numériques. Quant au pouvoir, il ne propose que de fausses « solutions vertes », qui ne font que renforcer notre dépendance à la technologie et à l’extraction, tout en redorant le blason du capitalisme industriel.
Les incendies
Mont Rainier (Washington), mai 2025
En mai, un incendie a complètement détruit un pont ferroviaire centenaire en bois, situé sur un tronçon isolé de la ligne panoramique du Mont Rainier, dans l’État de Washington. Lorsque les pompiers sont arrivés sur place, le pont ferroviaire n’était plus qu’un amas de métal calciné et fumant. L’incendie s’est déclaré quelques heures seulement après la vente de la ligne ferroviaire au Western Forest Industries Museum. Au moment de l’incendie, l’exploitation ferroviaire était limitée, mais la nouvelle société avait prévu de rétablir complètement le trafic ferroviaire sur la ligne, tant touristique que marchand. Même après plusieurs mois d’enquête, aucune arrestation n’a été effectuée.
Salem (Oregon), mai 2025
En juin, un tronçon crucial de voie ferrée à Salem, dans l’Oregon, appartenant à la Portland & Western Railroad (PNWR), a dû être fermé en raison d’un incendie qui a endommagé un pont, un poteau téléphonique et certaines lignes électriques de la PGE [Pacific Gas & Electric Company, plus grand producteur privé d’hydroélectricité nord-américain]. Avant l’incendie, la ligne était empruntée en moyenne par trois grands trains de marchandises quotidiens. Le pont était construit en béton et en bois traité à la créosote, ce qui a rendu son extinction difficile et nécessité l’utilisation de mousse anti-incendie. L’entreprise PNWR a estimé que la ligne serait hors service pendant au moins trois jours pour permettre les réparations. Les enquêteurs ont déterminé que l’incendie était d’origine criminelle, et la PNWR a évalué les dommages à un peu moins de deux cent mille dollars.
Newberg (Oregon), juin 2025
Plus tard en juin, un autre incendie a ravagé un immense pont ferroviaire à chevalets en bois à Newberg, dans l’Oregon. Il a subi d’importants dommages structurels. La Portland & Western Railroad (PNWR), propriétaire de la ligne, a déclaré qu’elle était « en grande partie inactive » au moment de l’incendie. Il a fallu plusieurs heures aux pompiers pour maîtriser l’incendie et l’empêcher de se propager aux structures voisines. Les institutions policières fédérales FBI et ATF [Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives], aidées de l’OSP [police de l’Oregon] enquêtent actuellement sur cet incendie comme s’il s’agissait d’un incendie criminel, mais peu d’informations ont été divulguées dans les médias. Mise à jour malheureuse : deux jeunes suspects ont été arrêtés en lien avec cet incendie.
Aucun de ces incendies n’a été revendiqué par des anarchistes ou d’autres personnes, et nous ne souhaitons pas attribuer de motivations à ces actions, ni spéculer sur l’identité des pyromanes (nous sommes certains que l’État s’en charge déjà). Tout ce que nous savons sur ces incendies nous vient des médias et de la police. Nous pouvons considérer ces événements comme des faits concrets (trois incendies volontaires qui ont endommagé les infrastructures ferroviaires) et en tirer des conclusions et des questions pour notre propre lutte contre la domination et la destruction industrielle.
Les chemins de fer en Oregon
Même si les parcs éoliens supplantent les centrales à charbon et que les data centers remplacent les usines vieillissantes, les anciennes voies ferrées construites il y a plusieurs siècles restent essentielles pour l’industrie d’aujourd’hui et de demain. Le réseau ferroviaire de la côte ouest reste l’épine dorsale de nombreuses industries extractives, principalement l’industrie du bois. Les richesses de la Terre sont transportées par train d’une usine à l’autre, laissant derrière elles une traînée de poisons et de destruction. Les trains transportent plus de dix millions de tonnes de marchandises chaque année dans l’Oregon, exportant principalement des grumes et des produits finis en bois vers d’autres États et ports pour la vente internationale. L’Oregon importe de nombreux produits chimiques par chemin de fer, notamment une grande quantité de soude caustique utilisée pour la production de papier et de pâte à papier. L’Oregon importe 100 % des produits pétroliers raffinés qu’il utilise, principalement par pipeline, mais aussi par chemin de fer et par bateau (1). Le réseau ferroviaire facilite également le transfert des déchets des grandes villes vers les immenses décharges situées dans l’est de l’Oregon et de l’État de Washington, le long du fleuve Columbia (2).
Le réseau ferroviaire de l’Oregon comprend près de 2 500 miles [environ 4000 kilomètres] de voies ferrées en service. Environ la moitié appartient et est exploitée par des chemins de fer de classe 1, dont la BNSF [Burlington Northern and Santa Fe Railway] et l’Union Pacific, qui transportent des marchandises à travers le pays et vers les principaux ports maritimes pour le commerce international. La plupart des autres lignes ferroviaires appartiennent à des compagnies ferroviaires de classe 2, qui gèrent le transport sur des distances beaucoup plus courtes. Ces chemins de fer sont exploités par des entreprises plus petites et changent plus fréquemment de propriétaire. Ils fournissent des services de transport « premier et dernier kilomètre » aux entreprises, souvent en chargeant et déchargeant directement dans les usines et les entrepôts. L’économie productive repose sur un flux prévisible et ininterrompu de matériaux par chemin de fer. Toute perturbation peut avoir des répercussions importantes sur la chaîne d’approvisionnement industrielle.Newberg (Oregon), juin 2025
Bien que certaines industries dépendantes du rail aient connu un déclin au cours des dernières décennies dans l’Oregon, les récentes modifications apportées à la réglementation fédérale et à l’économie mondiale suggèrent que le vent est en train de tourner. Ces changements ont donné un coup de pouce à l’industrie extractive dans l’Oregon, avec de nouveaux projets majeurs qui devraient voir le jour dans les prochaines années. L’industrie du bois est en déclin depuis les années 1990, mais le gouvernement fédéral s’apprête à abroger des mesures de protection forestière de longue date, ce qui ouvrirait des millions d’hectares de terres à l’exploitation forestière dans l’Oregon (3). Les projets miniers près de la frontière entre l’Oregon et le Nevada ont également été accélérés par le gouvernement fédéral et prévoient à terme d’intégrer des lignes ferroviaires directes pour le transport du lithium extrait de sites sacrés autochtones. En juin, la législature de l’Oregon a investi 100 millions de dollars dans la construction d’un nouveau terminal « vert » direct entre les navires et le rail près de Coos Bay, dans l’Oregon. Les marchandises seraient acheminées par la ligne ferroviaire de Coos Bay directement vers les lignes de l’Union Pacific à Eugene. Dans le même temps, une nouvelle société a relancé le projet de gazoduc Jordan Cove LNG, précédemment abandonné, près de Coos Bay. Il prévoit la construction d’un nouveau terminal maritime pour le gaz naturel liquéfié et d’un pipeline qui serait relié aux lignes ferroviaires existantes dans la région.
Le transport ferroviaire de passagers a également connu une croissance rapide et des investissements importants sur toute la côte ouest et dans l’Oregon. Amtrak [la compagnie ferroviaire publique] a enregistré un nombre record de passagers en 2024. La Coupe du monde 2026 comptera plusieurs sites de matchs sur la côte ouest, notamment à Seattle, Vancouver, Los Angeles et San Francisco. Amtrak se prépare à une augmentation du nombre de passagers pendant la Coupe du monde et a demandé des fonds supplémentaires pour améliorer son service avant le grand spectacle.
Les nouveaux projets extractivistes, capitalistes et de destruction de la Terre ont besoin d’un système ferroviaire fiable pour se connecter aux autres secteurs de la mégamachine. Alors que le moteur avance à toute vapeur, nous aurons de nombreuses occasions de le faire dérailler.
Milwaukie (Oregon), août 2024
Sabotage ferroviaire
Les incendies de ponts ferroviaires qui ont eu lieu ces derniers mois ne sont pas les premiers actes de sabotage visant les infrastructures ferroviaires dans le nord-ouest du Pacifique. L’année dernière [à Milwaukie en août 2024], un pont ferroviaire de la PNWR à la périphérie de Portland a été incendié, interrompant le trafic ferroviaire pendant cinq jours. Un communiqué publié en ligne après l’incendie a établi un lien entre cet acte et la campagne « Switch Off ». Le communiqué mentionnait le rôle de la PNWR dans le transport de bois et de produits pétroliers et précisait que cet acte était solidaire d’autres luttes en cours dans le monde.
Des dizaines de sabotages à petite échelle ont eu lieu en Oregon et dans l’État de Washington en 2020, dans le cadre d’une vague plus large d’attaques contre les chemins de fer et en solidarité avec la lutte des Wet’suwet’en. La plupart consistaient à placer des « shunts » [câble tendu entre les rails] ou à utiliser des méthodes similaires qui déclenchent le système de freinage automatique des trains, en créant un court-circuit. La voie doit alors être dégagée avant que le trafic ferroviaire puisse reprendre, ce qui perturbe les horaires des trains, mais ne cause pas de dommages durables. Des dizaines d’incidents de shuntage se sont produits dans l’Oregon et l’État de Washington, et certains ont été revendiqués sur internet par des anarchistes.
Il y a certainement eu d’autres attaques contre les infrastructures ferroviaires qui n’ont pas été mises en avant par les médias et la police. Il n’est pas dans l’intérêt du pouvoir d’amplifier les attaques contre lui, mais elles sont toujours là, juste sous la surface.
Infrastructure
Mont Rainier (Washington), mai 2025
Le rythme de l’expansion technologique et l’artificialisation de nos vies rendent les machines plus vulnérables. Une course est engagée pour moderniser les infrastructures électriques afin de répondre aux besoins énergétiques du monde numérique. Chaque nouvelle invention sollicite le réseau électrique, chaque nouveau gadget doit être connecté. Comme l’a théorisé Gunther Anders il y a de nombreuses années : « Plus la machine est grande, plus ses composants, qui fonctionnaient individuellement avant d’être intégrés dans la machine plus grande, sont gravement menacés. »
Les attaques qui visent les infrastructures clés de l’énergie sont capables de provoquer des perturbations tangibles et immédiates de l’existant. Des ponts ferroviaires incendiés peuvent paralyser les chaînes d’approvisionnement. Des attaques bien placées contre le réseau électrique peuvent mettre hors service des zones industrielles entières. Les coupures de courant peuvent créer des opportunités pour d’autres subversifs pendant la mise en sommeil de l’État-surveillant. Mais la destruction physique ne suffit pas à elle seule ; l’État n’est pas seulement un réseau d’éléments matériels, c’est aussi un ensemble de relations sociales et de normalités. Lorsque nous choisissons d’attaquer l’État, nous le faisons matériellement, mais aussi socialement, en sortant de notre rôle défini et en embrassant l’autonomie et la liberté. Les actes qui vont plus loin et perturbent la vie quotidienne peuvent permettre à d’autres de découvrir une autre façon d’exister, en suspendant la normalité et en créant des brèches où la liberté peut s’exprimer.
Médias
La police et les médias ont déployé des efforts concertés pour isoler les attaques qui visent directement les infrastructures « critiques » de l’énergie. En 2023, alors que les attaques contre les infrastructures électriques commençaient à se multiplier aux États-Unis (et en particulier dans le nord-ouest), le FBI a publié une note suggérant que les néonazis et les suprémacistes blancs en étaient responsables. Cette information a été largement diffusée par les médias, et la frénésie qui s’en est suivie a poussé plusieurs États à proposer de nouvelles lois visant à « protéger » les infrastructures critiques. Dans l’Oregon, une nouvelle loi a été discrètement adoptée avec le soutien des deux partis, qui classait de manière générale toute tentative d’endommager des infrastructures critiques comme du terrorisme intérieur (4), fournissant ainsi à la police et aux procureurs un nouvel outil puissant à utiliser contre les anarchistes et autres subversifs. Le libellé de la loi est intentionnellement vague et similaire aux lois sur le terrorisme intérieur utilisées pour cibler les opposants à Cop City à Atlanta.
Malgré les affirmations du FBI, la grande majorité des attaques visant le réseau électrique n’ont aucune motivation identifiée (5). La grande majorité d’entre elles restent généralement « non résolues ». Conscient qu’elles ne pouvaient être ignorées en raison de leur impact (et de leur simplicité), l’État semble avoir plutôt tenté d’isoler ces actions en essayant de les associer uniquement aux néonazis. Oui, certaines ont été perpétrées par des néonazis et d’autres ennemis de la liberté, mais c’est la réalité des conflits sociaux, et il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans le temps pour montrer que d’autres ne l’étaient pas.
“En nous distanciant de tout attaque qui n’est pas revendiquée comme « anarchiste », en ne voyant que la main des nazis, des complotistes derrière elles… nous finirons par rejeter toute vision ou volonté qui souhaite et œuvre pour une multiplication incontrôlée des sabotages des infrastructures de télécommunication, d’énergie et de logistique, afin de n’accepter et de ne valoriser que leur multiplication sous contrôle idéologique. Est-ce cela, défendre la liberté, ou n’est-ce pas plutôt la craindre ?”
Fumbling, 2021.
À peine un an plus tôt [à Huron, dans le Sud-Dakota, en juillet 2022], une attaque réussie contre un transformateur avait provoqué une coupure d’électricité dans une station de pompage située le long de l’oléoduc Keystone, interrompant le flux de pétrole et causant des millions de dollars de pertes à la compagnie pétrolière. En réponse à ces actes de sabotage bien ciblés, il semble que les deux principales stratégies de l’État consistent à garder le silence (de peur que le sabotage ne soit soutenu par d’autres, ou pire, repris par d’autres) ou à isoler les actions en les attribuant à un groupe précis, à une idéologie répréhensible ou à un seul suspect (6). L’objectif est de dissuader d’autres personnes de se joindre au mouvement, en utilisant tous les moyens nécessaires. Alors pourquoi facilitons-nous la tâche de l’État en accompagnant nos actions de revendications et de communiqués?
“Dans le silence, les actions parlent d’elles-mêmes, et si elles étaient laissées dans leur silence, tout ce qu’on entendrait serait le crépitement du feu, aucune explication ne serait nécessaire. Mais le silence est dangereux et inquiétant pour l’ordre établi. Le meilleur remède contre le silence est bien sûr de faire du bruit, de parler et de distraire, de prendre en main le pouvoir de définition .”
Let the Fire Spread, 2016.
Italie, années 80, pylône à haute tension qui a testé malgré lui les lois de l’attraction terrestre.
Revendications
La question des revendications d’actions et de l’anonymat fait l’objet de débats dans les milieux anarchistes depuis des décennies, voire des siècles. Ce débat n’est pas nouveau, mais l’essor et l’importance croissante des projets anarchistes sur Internet, tels que les sites internet de contre-information, lui confèrent une nouvelle dimension. Une discussion à ce propos a eu lieu en Italie dans les années 1970 et 1980, au milieu de la vague explosive de sabotages qui a mis à terre plus d’un millier de pylônes à haute tension à travers tout le pays. Cette vague se propageait de manière anonyme, à une époque où des actions spectaculaires (attentats à la bombe, enlèvements et assassinats) étaient menées et revendiquées par des groupes militants de gauche formels. Les saboteurs de pylônes, qui frappaient avec des outils simples et utilisaient des méthodes simples, ont montré la force de l’action anonyme.
“Ces actions directes que n’importe qui peut accomplir à tout moment et en tout lieu effraient peut-être davantage [l’État] que la formation même d’un groupe armé fermé. En effet, un groupe armé spécifique est contrôlable en raison du programme et de la logique auxquels il adhère, tandis que la propagation d’actes de sabotage met la structure du pouvoir en difficulté, car n’importe qui peut commettre de tels actes.”
Gruppo Anarchico di Palermo, 1987.
Des décennies plus tard, Alfredo Bonanno a donné son avis sur la vague de sabotages de pylônes, les revendications et la méthode :
“Entre compagnons anarchistes, on ne récite pas de litanies, du moins pas encore, mais on dresse des listes, on les lit attentivement, on les recherche, on les sollicite, on les identifie, on en discute, on les admire, on les utilise comme des instruments d’autosatisfaction dans notre existence au monde en tant qu’anarchistes. Voilà, pas de litanies, mais des listes. Mais des listes de quoi ? Des listes d’attaques ayant été menées ou qui pourraient l’être à l’avenir… En Italie, entre fin 1977 et 1989, 1 200 pylônes à haute tension ont été abattus. Une petite partie de ces actions a fini dans ces fameuses listes. Mais pensez-vous vraiment que c’est ce qui a déclenché la prolifération de telles actions, que je partage personnellement et que je considère comme bénéfiques pour la santé, puisqu’il s’agit précisément de promenades nocturnes à la campagne ? À l’époque, le journal susmentionné [Provocazione] a publié un article dans lequel une méthode (parmi tant d’autres) était examinée, expliquant comment abattre un pylône sans faire de bruit et sans équipement technique spécialisé, en sciant joyeusement… ”
Litanies, 2017.
Alors, si ces questions ont été posées, répondues et répondues à nouveau, pourquoi y revenir ? Nous ne considérons pas la question de la revendication comme une question à laquelle on peut répondre une fois pour toutes, puis la mettre de côté pour qu’elle prenne la poussière. Au contraire, comme toutes les questions qui traitent de la méthode, un moyen d’atteindre un objectif, elles doivent être posées encore et encore. Notre contexte et nos objectifs changent constamment, nous devons lutter contre la tentation de tomber dans des pratiques basées sur l’habitude, plutôt que sur une réflexion et une analyse constantes.
Aujourd’hui, il semble que la pratique courante parmi les anarchistes (en particulier aux États-Unis) consiste à accompagner chaque attaque d’une revendication, expliquant souvent la cible et la raison. Parfois, les revendications sont utilisées pour justifier une action, bien qu’il soit rarement clair à qui s’adresse cette justification (à l’État, à d’autres anarchistes, aux auteurs eux-mêmes ?). Ces revendications sont publiées sur des sites web d’information alternative, et parfois reprises par des médias plus grand public. Parfois, ces actions sont compilées dans des listes, où elles sont présentées hors du contexte dans lequel elles se sont produites.
“Ce flux international incessant d’informations ne nous détourne-t-il pas de ce qui se passe autour de nous, dans notre environnement immédiat et ses conflits sociaux, et qui n’est ni rendu visible ni relayé ? Ou est-il même important de savoir quelles piqûres de moustique à l’autre bout du monde blessent les veines de la domination, si on n’a aucune idée du contexte de la situation locale et des luttes anarchistes sur place ? ”
Si un de nos objectifs est de diffuser largement nos attaques, au-delà des seuls anarchistes, afin de constituer une véritable menace pour la domination, les revendications nous aident-elles à y parvenir ? Considérons d’abord la portée des revendications : les sites internet de contre-information touchent d’autres anarchistes (mais certainement pas tous), et nous pouvons être certains que la police les lit également. Bien sûr, nous pourrions imprimer et distribuer les revendications sous forme d’affiches (7), de zines ou de tracts afin qu’elles touchent un public plus large (répondant ainsi à la question de l’accès). Cependant, un public plus large reste un public : il observe passivement et, à la fin du spectacle, peut choisir de huer ou d’applaudir, pendant que les projecteurs restent braqués sur les acteurs sur scène. L’action appartient à la personne qui l’a revendiquée. Elle contient ses idées, ses motivations, son idéologie et tous les slogans qui y sont ajoutés à la fin (les hashtags anarchistes). Ce qui fait que tout le monde a sa petite idée de qui a fait cela, y compris les flics, et que l’action devient brouillée par le contenu de la revendication.
Lorsqu’un acte n’est revendiqué par personne, il n’y a pas de propriétaire : il appartient véritablement à tout le monde. N’importe qui aurait pu le commettre et n’importe qui pourrait être le prochain à le faire. Nous ne savons pas qui a incendié les trois ponts ferroviaires. Cela pourrait être un anarchiste, un enfant qui jouait avec des allumettes, un illuminé qui avait un compte à régler, un employé mécontent, cela pourrait même être toi. Nous ne savons pas non plus pourquoi ils l’ont fait, mais en même temps, nous avons tous nos propres idées et raisons diaboliques en nous.
Nous sommes au courant des incendies criminels des ponts ferroviaires parce qu’ils ont été rapportés dans les médias grand public. Mais que se serait-il passé si la police et les médias n’en avaient pas parlé ? Comment aurions-nous su que l’attaque avait eu lieu ? C’est l’une des raisons pour lesquelles certains anarchistes plaident en faveur de la revendication d’une attaque : précisément pour que nous sachions qu’elle a eu lieu et pourquoi, afin qu’elle ne soit pas simplement perdue avec le temps. Les revendications peuvent certainement servir cet objectif, en particulier lorsque l’État adopte une stratégie de silence pour maintenir l’illusion de paix sociale. Cependant, si la seule façon dont nous savons qu’une attaque a eu lieu est parce qu’un communiqué a été publié en ligne, il vaut peut-être la peine de se demander si l’attaque elle-même a été très réussie. Et si une action n’a pas de sens sans son communiqué, alors peut-être s’agit-il d’un mauvais choix de cible et d’une mauvaise lecture du contexte. Comme d’autres l’ont déjà dit, une action qui nécessite un communiqué est comme une mauvaise blague dont la chute nécessite une explication.
“Obscurs parmi les obscurs, nous sommes tous égaux. Personne n’est devant pour guider, personne n’est derrière pour suivre. Ce que nous faisons dans l’obscurité, nous seuls le savons. Cela suffit. L’obscurité nous protège de nos ennemis, mais nous protège aussi et surtout contre nous-mêmes. Pas de leaderships, pas de grégarismes, pas de vanité, pas d’admiration passive, pas de compétition, rien à démontrer à qui que ce soit. Les faits, crus et nus, sans médiations. Une banque a brûlé, une caserne a explosé, un pylône a été abattu. Qui l’a fait ? Peu importe, ça n’a aucune importance. Que ce soit Pierre ou Paul, quelle différence y a-t-il ? C’est arrivé, c’est possible de le faire, faisons-le !”
L’anonymat, 2014.
Mont Rainier (Washington), mai 2025
Chacun des ponts incendiés a eu un effet matériel immédiat, perturbant le trafic ferroviaire jusqu’à ce que les ponts puissent être entièrement réparés. Même si personne n’avait entendu parler de ces actions, leurs effets matériels auraient tout de même été là, car ils sont impossibles à ignorer. Comme pour toute attaque, il y a aussi une dimension symbolique : un pont ferroviaire incendié communique quelque chose d’unique à chaque individu.
Les gens peuvent avoir des objectifs très différents lorsqu’ils choisissent d’attaquer, et il existe donc de nombreux critères différents pour définir le « succès ». Nous ne pouvons pas simplement réduire l’acte d’attaquer à un seul indicateur, ce qui reviendrait essentiellement à transformer la destruction en un travail, un quota à atteindre. Mais si l’un de nos objectifs concerne la multiplication des attaques, au-delà des seuls anarchistes, nous devons commencer par analyser notre contexte, c’est-à-dire les conditions sociales et le paysage physique dans lesquels nous nous trouvons actuellement. Au-delà des résultats matériels d’une attaque, nous ne pouvons pas être sûrs de son impact global, et même après, nous ne le serons probablement pas. Cependant, si nous recherchons les failles qui existent déjà, là où il pourrait être intéressant d’intervenir par des attaques, nous avons une chance de les approfondir et de propager la révolte.
Ces fissures sont toujours présentes, même lorsque le pouvoir s’efforce de brosser un tableau idyllique de la paix sociale. Des actes de refus et des attaques physiques contre la domination se produisent sans cesse, à petite ou grande échelle, que nous en entendions parler ou non. Il est réconfortant et inspirant de savoir que nous ne sommes pas seuls à lutter contre cette bête, mais cela soulève également une question cruciale : s’il existe d’autres personnes, animées par leurs propres motivations, qui ripostent contre la domination, comment pouvons-nous nous retrouver dans l’action ? Comment éviter que les attaques restent isolées, ponctuelles, et les intégrer dans la guerre sociale ? S’il y a des étincelles partout, comment attiser les flammes et faire exploser la situation ?
Attaque
“Les merveilles de la nuit ne s’ouvriront qu’à ceux qui sauront marcher sous la lune dans la solitude, avec les idées claires, quelques connaissances, quelques outils et beaucoup de fureur.”
Finimondo, 2022.
Tout commence par l’action, qui commence par renoncer une fois pour toutes à la sécurité de l’attente. Il n’y aura jamais de moment parfait, de lutte parfaite ou de tension sociale parfaite pour intervenir : n’importe quelle étincelle peut déclencher la prochaine émeute ou insurrection. Tout au long de l’histoire, les insurrections ont commencé pour des raisons relativement banales : une augmentation de 10 pesos du prix du transport au Chili [en 2019, voir par exemple ici], une augmentation du prix de l’essence en France [référence au mouvement des gilets-jaunes], des projets d’abattage d’arbres en Turquie [en 2013, référence au mouvement de la place Taksim, à Istanbul]. Bien sûr, les tensions sociales dans chacun de ces exemples s’étaient accumulées pendant des années, il suffisait d’une seule étincelle pour mettre le feu aux poudres. Il serait insensé d’attendre la lutte sociale idéale, motivée par des idées qui ressemblent exactement aux vôtres ou aux miennes, car elle n’arrivera jamais. Nous ne pouvons pas contrôler les désirs et les idées qui motivent les autres à agir, nous pouvons seulement affiner nos propres perspectives, les diffuser dans le monde et trouver des moyens d’agir en conséquence, avec continuité.
Pour choisir comment et où agir, il faut d’abord examiner notre contexte social et notre terrain local, puis identifier les zones de conflit où il pourrait être intéressant d’intervenir par la force. Développer une idée de la direction que nous voulons prendre et de la manière dont nous pourrions y parvenir, c’est-à-dire une projectualité, est une première étape essentielle. Il n’y a pas de recette à suivre, et le chemin qui nous attend sera certainement semé de contradictions et d’écueils. La lutte pour la liberté ne s’accompagne d’aucune promesse, mais nos désirs nous mènent néanmoins vers l’inconnu.
Il existe également un besoin urgent de communication au sein de nos réseaux de complices déjà existants : un besoin de propositions, d’analyse de notre environnement et, surtout, d’expérimentation. Si nous avons une idée de la direction que nous voulons donner à l’action, c’est à nous de la partager avec d’autres personnes en qui nous avons confiance. Nos projets se façonnent à travers des discussions et des débats constants, mais cela ne peut se produire que si nous avons la volonté d’ouvrir des espaces de contact où nous pouvons discuter, comploter et rêver ensemble.
Rangueil (Toulouse), novembre 2020. L’antenne 5G s’effondre après avoir été incendiée
Propagande
“C’est aux anarchistes eux-mêmes qu’il revient de faire vibrer leurs propres perspectives contre toute autorité en alimentant les vases communicants entre idée et action, pas à d’autres. Dans les moments de calme comme de tempête. Et alors, peut-être, que nos rêves ou nos rages rencontreront un écho chez d’autres cœurs insoumis.”
Saisir l’occasion, 2018.
Au-delà des attaques, nous pouvons être plus actifs dans la diffusion des idées anarchistes dans les rues, en dehors de nos prisons sous-culturelles et de nos enclos numériques. Nous sommes devenus trop à l’aise pour ne parler d’anarchie qu’avec d’autres anarchistes. Si nous voulons que les idées et les actions subversives se répandent, nous devons sortir du confort de nos cercles sociaux.
Nos messages et notre propagande peuvent contribuer à donner un sens aux attaques qui se produisent déjà autour de nous et à créer le contexte pour d’autres attaques. Si une urne électorale est incendiée dans notre ville, cela pourrait être l’occasion de diffuser de la propagande anarchiste contre les élections et la démocratie. À l’inverse, si une antenne-relais est incendiée dans une ville déjà couverte de graffitis et d’affiches contre le contrôle numérique et la domination technologique, cet acte aura plus de chances d’être compris dans ce sens que d’être considéré comme l’acte d’un complotiste anti-5G.
En France et dans d’autres pays européens, pendant les années de confinement [lié au covid-19], les actes de sabotage non revendiqués contre les infrastructures de télécommunications sont devenus quasi quotidiens. Alors que les médias (et la gauche) tentaient de regrouper tous ces actes de sabotage sous l’étiquette de « complotistes » et de « fascistes », les anarchistes imprimaient et distribuaient dans les rues des tracts qui amplifiaient et soutenaient ces actes de sabotage et en appelaient à d’autres. Des affiches étaient collées avec des recettes pour détruire les antennes-relais. Et le sabotage a continué à se propager.
Les journaux et les revues sont également des instruments permettant de partager les idées anarchistes et de promouvoir l’action. Bien sûr, les publications anarchistes ne manquent pas, mais la plupart sont écrites pour un public qui comprend déjà les idées anarchistes et connaît le jargon (qui est très riche). Ces projets ont généralement une portée géographique large et respectent un calendrier de publication (souvent approximatif, nous sommes anarchistes après tout). Mais les journaux peuvent également être créés pour répondre à une tension ou à une lutte sociale spécifique, dans le but d’atteindre les personnes qui y sont impliquées ou simplement conscientes de celle-ci.
En Allemagne, un pamphlet intitulé « Hetzblatt – Gegen den Windpark » (Journal incendiaire contre le parc éolien) a été distribué dans les boîtes aux lettres de la région où un parc éolien (destiné à alimenter l’industrie chimique) devait être construit. Il contenait des critiques accessibles sur l’énergie verte et des informations sur des actes de sabotage. Le journal a fait tellement de bruit que les autorités allemandes ont ouvert une enquête sur sa production, qui a finalement abouti à l’arrestation de plusieurs personnes soupçonnées d’être à l’origine du projet (8).
LAISSONS LE FEU SE PROPAGER !
Trois ponts ferroviaires incendiés en trois mois, cela peut sembler insignifiant comparé aux milliers qui sont encore debout. Mais chaque incendie a montré, même brièvement, que la mégamachine n’est pas invincible. Nous ne savons pas pourquoi ils ont été incendiés, ni qui l’a fait, et nous espérons que cela restera ainsi. Ce que nous savons, c’est que la domination est vulnérable et que nous pouvons frapper n’importe où, n’importe quand. Par où commencerez-vous ?
[Traduit de l’anglais de Rose City Counter-Info, 8 septembre 2025]
Notes
1. Il n’y a pas de raffineries dans l’État d’Oregon. Environ 90 % de tous les produits pétroliers qui y sont consommés (de l’essence et du diesel au kérosène, et aux lubrifiants industriels) sont transportés par pipeline (à l’exception de l’éthanol et du biodiesel, qui sont transportés par rail et par bateau). Cela inclut le pipeline Olympic, exploité par Kinder Morgan, qui part du port de Portland et achemine les produits vers le sud jusqu’à Eugene. Le pipeline Marathon dispose d’un seul terminal dans l’est de l’Oregon. L’Oregon, et plus généralement la région de la côte ouest, pourraient connaître une pénurie importante de pétrole si l’un ou l’autre de ces pipelines était endommagé ou perturbé. Cela a été au centre de nombreux programmes de préparation et de plans de sécurité au niveau de l’État et au niveau fédéral. Dans un rapport, les propriétaires et les exploitants de pipelines ont identifié la perte d’électricité, accidentelle ou intentionnelle, comme la menace la plus urgente pour l’exploitation des pipelines.
2. Tous les déchets de Portland sont transportés par semi-remorque, tandis que ceux de Seattle et des villes environnantes sont transportés par train. Certaines des plus grandes décharges du pays sont situées le long du fleuve Columbia, loin des regards et des esprits, et rejettent chaque année des dizaines de milliers de tonnes de méthane dans l’atmosphère.
3. La « Roadless Rule » est une réglementation du Service forestier qui interdit l’exploitation forestière dans les terres forestières nationales qui ne sont pas accessibles par la route. L’administration Trump a déclaré qu’elle prévoyait de supprimer cette règle, qui protège 60 millions d’acres de forêts non exploitées à travers le pays.
4. La loi de l’Oregon considère comme un acte de terrorisme intérieur le fait de perturber les infrastructures critiques, notamment les routes, les pipelines, les barrages, les centres de données (data centers) et les infrastructures électriques et de télécommunications. Cette infraction est passible d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement.
5. Il n’existe pas de base de données publique officielle répertoriant les attaques contre le réseau électrique, mais l’un des ensembles de données disponibles a enregistré un peu moins de 1 000 attaques entre 2000 et 2023. Seules deux douzaines d’entre elles ont permis d’identifier leurs auteurs, les autres restent non élucidées.
6. En 2020, alors que la révolte populaire balayait les États-Unis, la police a lancé une rumeur selon laquelle des suprémacistes blancs « infiltraient » les manifestations pacifiques et les rendaient violentes. À Minneapolis, la police a affirmé avoir identifié une personne, surnommée « l’homme au parapluie », qui aurait brisé les premières vitres le soir où le commissariat a été incendié. Elle a déclaré avoir reçu une information selon laquelle il s’agissait d’un membre d’un gang de motards suprémacistes blancs qui voulait « inciter à la violence ». Cette information a été relayée par tous les grands médias et les réseaux sociaux, alimentant les théories du complot sur la présence d’agitateurs extérieurs dans d’autres villes. Cinq ans plus tard, aucune preuve n’a été divulguée, aucune arrestation n’a été effectuée et Umbrella Man est toujours en liberté.
7. Des anarchistes de Montréal ont tenté l’expérience, transformant des communiqués anonymes en affiches faciles à imprimer et à distribuer dans les rues. Voir ici : https://mtlcounterinfo.org/for-the-streets/posters-2/communique-poster-series/
8. Des anarchistes allemands font face à une forte répression pour leur implication présumée dans des projets de journaux. Pour plus d’informations sur la situation, consultez le zine Hetzlumpen (en anglais) : https://actforfree.noblogs.org/2025/07/24/hetzlumpen/.
[ pompé sur lemonde.fr ]
Erik Prince est de retour. A Haïti ou au Salvador, en passant par le Pérou, l’Equateur et jusqu’à la République démocratique du Congo (RDC) ; entre lutte contre le trafic de drogue, expulsion de migrants illégaux, guerre contre les groupes armés non étatiques et sécurisation de carrés miniers en Afrique, le fondateur et ancien PDG de la société de sécurité privée Blackwater multiplie les apparitions depuis la réélection, fin 2024, de son meilleur allié à la Maison Blanche, Donald Trump, dont il est un ardent supporteur. Certes, ce n’est plus le flamboiement d’il y a une vingtaine d’années. L’ancien militaire du commando d’élite de la marine américaine, les Navy SEAL (acronyme de Sea, Air, Land : « mer, air et terre »), héritier d’une riche famille établie sur les rives du lac Michigan, dirigeait alors Blackwater – rebaptisé depuis « Academi » –, « l’armée privée la plus puissante du monde », pour reprendre le titre du livre-enquête de Jeremy Scahill (Actes Sud, 2008). C’étaient les années de présidence de George W. Bush (2001-2009), celles de la privatisation de la défense américaine menée tambour battant par le secrétaire à la défense de l’époque, Donald Rumsfeld. En 2006, trois ans après l’invasion de l’Irak par les forces américaines, il y avait là presque autant de contractuels que de GI engagés dans la « guerre contre la terreur ». Blackwater comptait plus de 20 000 employés et autant de réservistes. Puis Erik Prince fut contraint de revendre son fleuron après la tuerie de la place Nisour, en 2007, au cours de laquelle 17 civils innocents tombèrent à un carrefour sous les balles des mercenaires de Blackwater escortant un convoi de l’ambassade américaine à Bagdad. Les quatre contractuels impliqués dans la fusillade, jugés et condamnés à leur retour aux Etats-Unis, ont ensuite été graciés par Donald Trump à la fin de son premier mandat. Dorénavant, Vectus Global, la tête de pont du système Erik Prince, ne compterait que quelques dizaines d’employés permanents. Mais l’entreprise chapeaute une myriade de sociétés de sécurité, dont certaines sont enregistrées aux Emirats arabes unis. Si l’architecture légale a changé, le secteur d’activité est le même : le business de la guerre et de la sécurité, source de profits financiers là où les Etats faibles vacillent. Et, à entendre Erik Prince, un certain nombre d’Etats africains entrent dans ce cadre. Le 15 février, dans son podcast « Off Leash », Erik Prince jugeait qu’« il est temps [pour les Etats-Unis] d’endosser de nouveau le costume impérialiste et de dire qu’[ils] v[ont] gouverner ces pays incapables de le faire eux-mêmes, (…) tous ces gouvernements africains qui ne pensent qu’à piller et à se remplir les poches ». Interrogé pour savoir s’il prônait une nouvelle forme de colonialisme, il répondait : « Oui, absolument oui. » Pourquoi pas la RDC ? Etat faible rongé par la corruption, pays immense déstabilisé par des années de guerre civile mais aux richesses minérales considérables, la RDC a de quoi aiguiser les nouvelles ambitions du « civilian warrior » (« guerrier civil »), tel qu’il se définit lui-même. D’autant qu’il n’est pas là en terre inconnue. Il y a développé des affaires en 2015 dans le domaine de la logistique, au service d’entreprises minières chinoises qui dominent le secteur, ainsi que dans le domaine diamantifère dans la province du Kasaï, selon plusieurs sources. C’est en 2023 que son nom commence vraiment à circuler dans le pays, dans le contexte guerrier de la résurgence, après dix ans de sommeil, du Mouvement du 23 mars (M23). Constituée autour de membres de la communauté tutsi de l’extrême est du Congo disant se battre pour la défense de leurs droits bafoués, cette rébellion congolaise ne serait probablement rien sans le soutien stratégique, technologique et financier du Rwanda voisin. Face à eux, les forces armées congolaises et leurs milices alliées n’ont fait que reculer. D’où l’idée de Kinshasa de faire appel à des intervenants étrangers pour pallier sa faillite sécuritaire. Erik Prince se met alors sur les rangs. « Les autorités congolaises ont planifié l’envoi de 2 500 contractuels originaires de Colombie, du Mexique et d’Argentine au Nord-Kivu pour stopper l’avancée du M23 et sécuriser les zones minières dans l’Est [conformément à] un accord conclu entre la RDC et les Emirats arabes unis », écrit, en décembre 2023, le groupe d’expert des Nations unies sur la RDC. Six mois plus tard, ils précisent leur propos, affirmant qu’Erik Prince dirige les négociations pour ce déploiement – le sous-continent américain constituant son principal vivier de contractuels, comme à l’époque de Blackwater. Le projet serait alors soutenu par Kahumbu Mandungu Bula, alias Kao, conseiller personnel à la sécurité du président Félix Tshisekedi, et « l’un des hommes-clés des relations avec les Etats-Unis », glisse un membre du sérail présidentiel congolais. Les Emirats arabes unis, pays dans lequel Erik Prince a rebondi après avoir précipitamment quitté les Etats-Unis en 2010, ont démenti leur implication. A l’époque, le projet n’avait pas eu de suite. Les seuls contractuels alors déployés au Nord-Kivu étaient ceux d’Agemira, société fondée par le Français Olivier Bazin et recrutant essentiellement d’anciens militaires français, travaillant main dans la main avec les Roumains de l’entreprise Congo Protection. Mais l’effondrement de toute l’architecture sécuritaire congolaise dans l’est du pays, à partir de fin 2024, va libérer le terrain pour Erik Prince. En décembre 2024, Kinshasa conclut un contrat de cinq ans avec lui par le biais d’un système complexe d’entreprises dont certaines sont implantées aux Emirats arabes unis. « Ce contrat comporte deux volets, l’un minier, l’autre sécuritaire, le premier permettant de financer le second », explique une source. Autrement dit, une déclinaison de la politique de Donald Trump, adepte des « deals » business contre sécurité sur la scène internationale. Dans le cas précis de la RDC, Washington négocie depuis plusieurs mois avec Kinshasa la contrepartie économique – dans le domaine des minerais stratégiques essentiellement – de son engagement pour aboutir à un accord de paix durable dans l’est du pays et le garantir. Erik Prince ne dit rien d’autre. Selon les experts de l’Organisation des Nations unies, il propose de « sécuriser le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri [trois provinces de l’est de la RDC] grâce à la formation et au déploiement de troupes au sol et à l’exploitation de moyens aériens, y compris des drones armés ». La partie financière repose sur la mise en place d’une « police des mines » chargée de percevoir des recettes fiscales auprès des entreprises minières. « Nous mettons sur pied une brigade financière en apportant l’expertise nécessaire, en améliorant les compétences des forces de l’ordre locales dans leur lutte contre le trafic [l’exportation illégale de minerais] et la fraude fiscale », confirme Erik Prince dans un entretien publié, le 11 septembre, par l’hebdomadaire Le Point. Selon un élu congolais originaire de l’Est, dont les propos sont recoupés par d’autres témoignages, « une centaine de contractuels armés sud-américains ont été vus, au mois de juillet, à bord de véhicules de l’armée congolaise dans les rues de Walikale, ainsi que sur le tarmac de l’aéroport de Kisangani ». « Ils étaient peut-être là pour sécuriser les installations d’Alphamin », avance-t-il. Cette société exploite l’important gisement d’étain de Bisie (6 % de l’offre mondiale en 2024, troisième mine au monde en matière de production), sur le territoire administratif de Walikale. Alphamin avait suspendu temporairement son activité en mars, jusqu’au retrait, « sous pression américaine », du M23 de Walikale, confiait alors au Monde un dirigeant du M23. Détenue jusqu’à récemment par un fonds d’investissement anglo-américain, Alphamin Resources Corp est en cours de rachat par un groupe émirati, International Resources Holding. « Rien ne dit que ces Sud-Américains sont là dans le cadre du contrat d’Erik Prince. Une partie de l’Est non contrôlée par le M23, et Kisangani, est devenue une tour de Babel avec des contractuels slaves, sud-américains, turcs, est-européens, israéliens… Sans parler des forces armées congolaises. On ne sait pas qui fait quoi », explique un observateur étranger statutairement astreint à l’anonymat, de retour de cette ville-clé qui verrouille l’accès à Kinshasa, beaucoup plus loin à l’ouest. « Mais ce n’est pas exclu » qu’ils soient envoyés par le chef de Vectus Global, ajoute-t-il. Un ministre congolais affirme, quant à lui, que « le contrat d’Erik Prince auprès des entreprises minières porte sur des activités au Katanga, pas les Kivus ». Situé dans le sud de la RDC, le Katanga est le coffre-fort minier du pays, là où se situent les principaux gisements de cuivre et de cobalt, exploités essentiellement par des entreprises chinoises. Erik Prince aurait promis aux autorités congolaises de faire rentrer dans les caisses du pays les recettes fiscales que les exploitants des mines rechigneraient à payer, tout en se servant au passage. D’où cette proposition de « police des mines ». « Vous pensez qu’on les fera payer en frappant gentiment à leur porte ? », demandait Erik Prince dans une autre vidéo, postée sur X. Sous-entendu : la manière forte est le meilleur moyen pour collecter les taxes des récalcitrants. « Pour le moment, il n’y a rien de concret », relativise le ministre congolais précité. Les termes de l’accord conclu avec Kinshasa seraient très génériques. C. S., un Franco-Américain voulant garder l’anonymat, s’occupe pourtant à Kinshasa du volet sécuritaire du contrat, qu’une de nos sources évalue à 800 millions de dollars (680 millions d’euros). Ce « modèle » économique est globalement celui qu’il met en place à Haïti. L’ancien patron de Blackwater dit avoir conclu, en mars, un accord de dix ans avec les autorités de cette île des Caraïbes, mise en coupe réglée par des gangs armés. Dans une interview donnée mi-août à l’agence de presse Reuters, il se fixait comme objectif de stabiliser la sécurité du pays, avant de participer à la conception et à la mise en place d’un système de collecte des taxes sur les produits importés en Haïti depuis la République dominicaine. Il ponctionnera une partie des recettes douanières en échange de son « expertise » sécuritaire. Sa marque de fabrique ? L’utilisation de drones armés contre les gangs. Selon un rapport des Nations unies, 233 membres de gangs ont été éliminés en avril et en mai, ainsi que trois civils. « Le modèle Erik Prince se caractérise par sa participation aux combats, la congruence avec les activités minières, l’opacité de ses opérations », explique Djenabou Cissé, spécialiste des entreprises de services de sécurité et de défense en Afrique au sein de la Fondation pour la recherche stratégique. « Sans oublier, ajoute-t-elle, les liens avec l’administration américaine. » Issu d’une famille historiquement républicaine et ultraconservatrice, Erik Prince s’est d’ailleurs souvent vanté de sa proximité avec l’entourage de Donald Trump. Parmi ses proches, tout particulièrement ceux du second mandat, figurent deux poids lourds de la sécurité américaine : le secrétaire à la défense, Pete Hegseth, et la directrice du renseignement national, Tulsi Gabbard.Pallier la faillite sécuritaire
« Police des mines »
« Une tour de Babel »
Drones armés contre les gangs
[ pompé sur ricochet.cc ]
Deux militants de Sudfa (média fondé par des exilé·es soudanais·es en France), et de Génération Lumière (association d’écologie décoloniale fondée par des jeunes Congolais·es à Lyon), échangent sur les guerres en cours au Congo et au Soudan, mettant en lumière les logiques globalisées du capitalisme colonial, ainsi que les voies de solidarités entre les peuples.
Le 23 mai 2025, Sudfa Media était invité par la Coordination Régionale Anti-Armements et Militarisme (région AURA) à venir discuter de la situation au Soudan et en République Démocratique du Congo avec l’association Génération Lumière, qui est une association d’écologie décoloniale et de solidarité internationale fondée par des jeunes Congolais·es à Lyon.
Nous avons particulièrement apprécié cette occasion de faire une présentation publique croisée avec Génération Lumière, qui fait un travail essentiel de mobilisation, d’éducation et de plaidoyer. C’était aussi important pour nous d’évoquer de manière conjointe les guerres au Congo et au Soudan, sont souvent délaissées des médias et des mobilisations en France. La discussion a permis de faire émerger autant les spécificités que les similitudes des deux conflits, et d’identifier ainsi la logique impérialiste transnationale commune à l’œuvre dans ces guerres. Voici par écrit des extraits des présentations. Bonne lecture !
Hamad (Sudfa) : Bonsoir tout le monde. Peut-être avez-vous entendu parler d’une guerre qui a commencé au Soudan il y a deux ans à peu près, qui témoigne de la fragilité de notre monde aujourd’hui. On est en train d’assister à une des catastrophes les plus graves au monde, dans un silence total. On parle de 80% des hôpitaux qui sont hors de service. On parle de 20 millions de Soudanais, soit la moitié de la population soudanaise, qui sont partis de leur foyer, soit à l’étranger, soit déplacées à l’intérieur du pays. On parle de 90% des Soudanais qui souffrent de la faim aujourd’hui dans les zones de guerre. On parle de 15 millions d’enfants qui n’ont pas pu être scolarisés depuis 2023. Donc voilà, on assiste à l’une des catastrophes les plus graves au monde : mais ce qui n’est pas normal dans tout ça, c’est le silence du monde entier.
Jordi (Génération Lumière) : Contrairement au Soudan, ce qui est assez particulier avec le cas du Congo, c’est que c’est un conflit très documenté. Ça fait plus de 30 ans qu’un groupe d’experts des Nations Unies, qui a 1 milliard de dollars de financement annuel, documente, chaque année, l’évolution du conflit… C’est dire un peu le caractère ubuesque de cette situation. Ça fait plus de 30 ans qu’ils le font, alors qu’au fond, la question congolaise est assez simple à comprendre. C’est purement une question de ressources, en fait. Ce qui se passe au Congo, c’est lié à ce qu’on appelle l’extractivisme. Les penseurs, les militants d’Amérique latine ont proposé ce concept pour expliquer que la fin des empires coloniaux n’a jamais mis fin à la logique impériale qui existait. Qu’est-ce que ça a été, fondamentalement, la logique impériale ? C’est d’avoir des pays-ressources, des pays greniers, qu’on va puiser jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, pour bénéficier à un marché qui est totalement extérieur. En fait, l’extractivisme, c’est aller récupérer une ressource sur un territoire colonisé et en tirer de la valeur pour viser un marché extérieur. On va avoir des pays que l’on va enchaîner d’une certaine manière dans un marché international et à qui on va assigner des rôles, tout simplement.
Hamad (Sudfa) : Les guerres au Soudan comme au Congo témoignent de la manière dont les richesses naturelles d’un pays alimentent l’instabilité, au lieu que la population locale profite de cette richesse. Quand on parle de richesses au Soudan, on parle de l’or, on parle du pétrole, on parle des terres agricoles… C’est un pays stratégique, qui était frontalier avec 9 pays jusqu’en 2011, et qui a une ouverture vers la mer Rouge, qui est une zone très stratégique en termes militaires. Donc voilà, le conflit actuel n’est pas lié qu’aux raisons qu’on présente le plus souvent, quand on dit que c’est une guerre autour du pouvoir entre deux généraux. Cette guerre trouve ses racines dans l’époque coloniale, qui a largement participé à la division de la population soudanaise, à la stigmatisation de certaines parties de la population, et à la division raciale, ethnique et tribale du pays.
Les Anglais, qui ont colonisé le Soudan, ont adopté un système de ségrégation : ils ont divisé la population soudanaise, qui est multiculturelle, en deux catégories. La première, c’est ceux qui ont bien profité du système colonial et qui ont été considérés comme des alliés, qui ont profité de toutes les richesses du pays et des systèmes qui ont été mis en œuvre, et de l’autre côté il y a ceux qui ont été marginalisés. En accédant à l’indépendance du pays, on a constaté qu’il y avait deux sociétés qui étaient séparées l’une de l’autre. C’est pour ça que dès l’indépendance du Soudan en 1956, la guerre a éclaté dans le Sud, parce que des groupes ont pris les armes pour revendiquer la place des Soudanais du Sud au sein de l’Etat, pour dénoncer leur marginalisation et l’injustice. Et cette guerre-là, au fur et à mesure, a éclaté dans les quatre coins du pays, notamment le Darfour, la région du Nil-Bleu, des Montagnes Nouba et du Kordofan. Et ce type de guerre est toujours alimenté par d’autres raisons locales, et notamment écologiques. Dans le sens où il y a un groupe armé qui se forme quelque part au pays et qui essaie prendre le contrôle d’une terre et de ses ressources, mais toujours en lien avec un autre groupe ou un autre pays qui vient en aide de l’extérieur, cherchant à profiter de cette richesse-là.
Jordi (Génération Lumière) : Au Congo, la guerre s’est vraiment beaucoup centrée à l’est de la RDC, au moment où il y a eu ce qu’on appelle le « boom du coltan ». Le coltan, c’est l’un des minerais « clés » pour la production des matériels numériques. Sans coltan, on ne peut pas faire de cartes et de processeurs, on ne peut pas faire d’ordinateur, de téléphone, etc. Vers la fin des années 1990, c’est le boom d’Internet, le boom de toute une nouvelle génération de produits qui a besoin de cette ressource. Et le Congo possède près de 60 à 80% des réserves mondiales du coltan. Or, ce boom est arrivé au moment d’une transition politique en RDC. Pendant près de 32 ans, on avait Mobutu, celui qu’on appelait « l’ami des occidentaux », au pouvoir. A sa mort, on s’est posé la question de quel dirigeant politique allait récupérer ce marché énorme que représente le coltan et arbitrer les intérêts stratégiques du pays. Et c’est à ce moment-là que vont intervenir de nouveaux acteurs, essentiellement le Rwanda et l’Ouganda, qui sont les pays frontaliers à l’est du Congo. Dans cette région, les frontières sont poreuses, les populations ont l’habitude de circuler, et c’est assez simple de financer la possibilité pour des groupes d’entrer au Congo, et de récupérer les minerais qui y sont situés. Or le conflit permet de maintenir les prix de la ressource au plus bas, pour financer un marché qui est en train d’exploser.
C’est à ce moment-là que va éclater ce qu’on a appelé la seconde guerre du Congo. La première, c’est la « guerre de libération », comme on l’appelle, c’est-à-dire la guerre qui va chasser Mobutu au pouvoir et qui va mettre Kabila à sa place. Puis la seconde guerre, ce qu’on appelle aussi la « première guerre mondiale africaine », c’est-à-dire une guerre entre des États frontaliers sur le territoire congolais pour des ressources congolaises, avec un bloc proche du gouvernement congolais, et un bloc proche des pays frontaliers. Ce qui va plus ou moins marcher, parce que Kabila va quand même résister. Puis à son assassinat, va se poser la question du maintien de cette partie-là de la RDC dans le giron de ces États frontaliers. Il faut donc trouver des explications qui vont paraître les plus légitimes, qui vont brouiller le conflit, c’est-à-dire mettre en avant la question ethnique pour expliquer qu’il existe des ethnies au Congo, au Rwanda et en Ouganda qui sont systématiquement discriminées, systématiquement écartées de l’appareil de l’État, qui sont même tuées, voire cannibalisées… on va pousser ce discours jusqu’à très loin, pour justifier le fait que ces États-là s’intéressent à ce qui se passe chez les voisins et peuvent ainsi intervenir pour protéger les intérêts de ces ethnies. Il faut se rappeler le contexte des années 1990, c’est une décennie qui a vu un très grand génocide, le génocide des Tutsis au Rwanda, et donc forcément sur la scène internationale, l’État rwandais qui proclame défendre l’intérêt de ceux qui ont été victimes, forcément, est légitime dans son intervention dans un pays voisin.
Et entre temps, ce qui s’est passé, c’est qu’on a eu une extrême militarisation du conflit, avec des bandes armées qui massacrent partout. Jusqu’à maintenant, on a eu plus ou moins 6 millions de morts en 30 ans sur cette région. A l’époque des années 1990, il y avait 5 ou 6 bandes armées ; aujourd’hui, on en a plus de 200. Pourquoi ? Dans cette région frontalière, il y a énormément de mines d’or, de coltan, d’étain, etc. Et une partie de ces milices, de ces chefs seigneurs de guerre, vont au Congo parce que c’est plus facile de récupérer les minerais. Ça ne demande pas d’efforts industriels, il ne faut pas forer, il ne faut pas passer par des grandes entreprises, pour pouvoir s’enrichir. Le coltan est récolté de manière artisanale, à la pelle. Donc l’essentiel de l’activité du coltan n’est pas du tout dans les mains de l’État, c’est fait de manière clandestine.
En 2020, on a découvert que le Congo n’était plus le premier producteur du coltan mondial, il venait d’être dépassé de quelques milliers de tonnes de plus. Le Rwanda est devenu, du jour au lendemain, le premier producteur de coltan mondial, en produisant près de 4 000 à 5 000 tonnes par an. Et donc la question est apparue : est-ce que ce n’est pas la contrebande des minerais congolais qui explique cette exploitation-là ? On s’est alors rendu compte que parmi les États internationaux, c’était un secret de polichinelle. Tout le monde savait, en réalité, que le Rwanda était devenu une plaque tournante de minerais récupérés au Congo. Ça va même plus loin. C’est-à-dire qu’en fait, jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucune entreprise du numérique qui peut certifier, vraiment preuve à l’appui, que ces minerais de coltan qu’il y a dans les produits ne proviennent pas de ces zones de guerre. C’est dramatique.
Hamad (Sudfa) : Au Soudan, les divisions créées à l’époque coloniale, ça a créé un État qui est très faible depuis l’indépendance et qui a ouvert grand la porte pour que les puissances impérialistes puissent intervenir dans les affaires soudanaises. Souvent, ça se fait à travers des alliances qui ont pour objectif de soutenir le gouvernement en place afin qu’il puisse faire profiter à d’autres des richesses naturelles du pays. Ou alors, les pays extérieurs poussent des groupes locaux à prendre les armes et créer un conflit armé en leur promettant de contrôler cette région-là un jour, pour pourvoir profiter richesses de cette région-là.
Quand on parle des puissances impérialistes qui interviennent au Soudan et qui créent l’instabilité, on parle des puissances classiques, l’Allemagne, la France et tous les pays occidentaux, qui fabriquent des composants militaires retrouvés dans les armes utilisées par les miliciens des Forces de Soutien Rapides (FSR). Mais dans le cas du Soudan, il y a d’autres puissances impérialistes qui sont beaucoup plus discrètes et silencieuses, mais qui interviennent de manière très brutale. Et notamment les pays du Golfe, qui ont tout un tas d’intérêts au Soudan, que ce soit pour des raisons géopolitiques, économiques ou sécuritaires. Les Emirats Arabes Unis, qui sont le premier soutien financier et fournisseur d’armes des FSR, cherchent à s’accaparer les terres agricoles et le bétail du Soudan car ils manquent de terres arables et veulent garantir leur autonomie alimentaire dans le contexte du réchauffement climatique. Ils profitent également, avec l’Egypte et la Russie, de la contrebande de l’or en provenance des mines d’or contrôlés par les FSR au Darfour. Il y a tous ceux qui vendent des armes à l’armée soudanaise ou aux milices (du matériel russe, chinois, turc, ukrainien), ou encore des mercenaires colombiens qui ont été recrutés par les Emirats Arabes Unis pour combattre parmi les FSR. Toutes ces puissances-là cherchent depuis toujours à imposer leur agenda, contrôler le pays, profiter de ces richesses naturelles et en même temps intervenir dans les affaires soudanaises.
La guerre qui a éclaté en avril 2023 n’est pas une guerre des Soudanais entre eux. C’est une guerre par procuration entre ces différentes puissances. Par exemple, entre l’Egypte et l’Ethiopie, qui sont en conflit autour du barrage de la Renaissance sur le Nil : au lieu de s’affronter directement, chacun soutient l’une des deux armées qui s’affrontent au Soudan.
Jordi (Génération Lumière) : Un autre ressort de la logique impériale de l’extractivisme, c’est, au niveau politique, de bloquer l’appareil de l’État. L’objectif de l’économie extractiviste, c’est que l’essentiel de la richesse dépende d’un seul secteur d’activité. On va donc avoir une forme de militarisation de l’économie. Au Congo, par exemple, les zones où les ressources sont exploitées sont des zones auxquelles même les populations locales ne peuvent pas avoir accès. C’est barricadé, c’est militarisé, ou alors en proie aux conflits armés. Et malheureusement, le danger de l’extractivisme et la logique impériale, c’est qu’elle est très rarement démocratique. Elle finit par se limiter à des logiques d’alliance et de pouvoir. Donc, ce qui se passe avec le Soudan, c’est exactement ce qui se passe au Congo. Plus on a besoin d’un État pour ses ressources uniquement, moins il y aura de démocratie. On le voit notamment avec les pays pétroliers. Et même ici en France, on le voit : plus il y a des projets qui sont liés avec une industrie d’extractivisme, moins il y a de consultations publiques. Plus il y a des manigances, moins il y a de démocratie. Et ces logiques-là sont simplement plus opaques ailleurs, parce qu’il y a une question de racialisation. On explique qu’au fond, ces populations-là, si elles meurent, si elles souffrent, ce n’est pas si grave que ça. C’est cette racialisation qui va permettre de faire beaucoup plus de choses de manière beaucoup plus libérée, et presque sauvage. C’est-à-dire du travail forcé, faire travailler des mineurs, des viols de masse, financer des groupes armés, etc.
Hamad (Sudfa) : Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de demande de démocratie par les populations locales. En 2018, il y a une mobilisation révolutionnaire qui a éclaté au Soudan. Cette mobilisation a apporté un grand espoir pour les Soudanais, pour mettre fin au régime qui est resté au pouvoir pendant 30 ans. Cette mobilisation a été extraordinaire en termes de revendications et d’organisation. Mais elle a fait face à beaucoup de défis : on a hérité d’un système où l’appareil d’État ne fonctionne plus, d’un système économique très fragile et d’une société divisée et en guerre dans les quatre coins du pays. Même si elle a pu mettre fin au régime d’Omar El-Béchir, la mobilisation n’a pas pu atteindre son objectif de départ, qui était : « Paix, Justice et Liberté ».
Parce que l’ancien dictateur a créé un système militaire qui avait pour objectif de servir les intérêts du régime. Ainsi, l’armée n’est pas indépendante de l’Etat : elle intervient de manière très brutale dans le système politique, dans le système économique, et l’armée contrôle l’ensemble du pays, avec tous ses aspects politiques, économiques etc. Ensuite, c’est une armée qui est composée de plusieurs unités, dont des groupes paramilitaires comme Forces de Soutien Rapide (les FSR). La milice des FSR a été créée à l’époque de la guerre au Darfour en 2003 pour faire le travail que l’armée soudanaise n’a pas envie de faire : le massacre, nettoyage ethnique et le déplacement massif de la population du Darfour. Les FSR ont pu faire ce travail-là avec le soutien de certains pays étrangers, et notamment de l’Union Européenne, à travers le processus de Khartoum. Il s’agit d’un accord qui a été signé en 2014 entre le gouvernement soudanais et l’Union Européenne pour contrôler l’immigration vers l’Europe, à la frontière entre le Soudan et le Libye. Le contrôle de la frontière a été délégué par l’armée soudanaise aux FSR, qui ont pu profiter du soutien technologique et financier de l’Union Européenne. Et c’est une des raisons pour laquelle les FSR ont pu devenir une force ou une puissance militaire bien plus forte que l’armée soudanaise, si bien qu’en 2023 ils se sont retournés contre l’armée pour prendre le pouvoir à sa place. Donc voilà, ça c’est ça c’est une des raisons actuelles de la guerre, qui est une guerre autour du pouvoir, entre deux généraux, qui se battent pour leurs intérêts personnels, mais aussi les intérêts des différents pays qui les soutiennent.
Jordi (Génération Lumière) : Les Etats européens sont aussi impliqués dans le conflit à l’Est du Congo, par le soutien militaire dispensés à l’armée rwandaise. L’État français a des accords de coopération avec l’Etat rwandais, ce qui fait qu’une partie des militaires font leur formation en France.
Aujourd’hui, par rapport à ce qui se passe au Congo, la difficulté de ce conflit, c’est que même la « transition verte » a été repensée pour nous expliquer que cette transition écologique ne doit se penser qu’à travers un progrès numérique. On nous dit que l’extrême numérisation est la seule condition pour connaître une vraie sortie des énergies fossiles. C’est une justification directe d’un élargissement du conflit à l’Est du Congo. Pourquoi je dis ça ? Parce qu’au final, vu que cette demande en minerais est importante, l’argent qui est en jeu est énorme. Donc il faut faire une forme de solution finale, c’est-à-dire trouver une manière de s’installer définitivement sur le territoire qui en possède près de 60 à 80% des réserves. Ça semble logique. Et depuis février 2024, on a des groupes armés, deux essentiellement, qui sont directement financés par l’État rwandais, qui se sont mis à prendre des territoires avec pour objectif de s’installer définitivement et de chasser l’État congolais de toute la région du Kivu.
C’est un conflit qui doit nous interpeller, car en réalité, ce n’est pas possible d’imaginer, au niveau international, un monde qui prônerait la fin des énergies fossiles et une transition écologique, sans que ce qui se passe au Congo soit résolu. C’est pour ça que la situation congolaise est particulière, parce qu’elle démontre vraiment les dégâts de l’extractivisme comme modèle économique et comme modèle géostratégique, mais aussi parce qu’elle nous engage tous. C’est au profit d’un certain marché, d’un certain confort qu’on va essayer de maintenir cette situation. Mais c’est aussi en raison du maintien de cette situation qu’ici aussi, en Europe, on aura du mal à sortir d’un monde, d’un modèle que l’on dénonce de plus en plus. (…)
Ces extraits que nous avons choisi de publier de la discussion croisée sur les conflits actuels au Congo et au Soudan mettent en lumière l’interdépendance de l’économie mondiale avec celle de l’extractivisme, une activité qui repose sur l’exploitation des ressources et des populations. C’est l’héritage d’un ordre colonial et racial qui justifie l’intervention étrangères dans ces zones, ainsi que l’opacité et la violence des actions perpétrées pour maintenir cette économie. Pour nous à Sudfa, il est important de penser les enjeux locaux tout en gardant un regard international qui permet de mettre en lumière les logiques globalisées du capitalisme colonial, ainsi que les voies de solidarités entre les peuples.
[pompé sur lamontagne.fr ]
Le projet Emili qui vise à exploiter à partir de 2030 une mine de lithium sur le site Imerys d’Échassières a franchi, ce vendredi 26 septembre, une nouvelle étape. La préfecture de l’Allier a officialisé deux autorisations environnementales.
La première concerne la création sur le site de la carrière de Beauvoir à Échassières d’une galerie minière de reconnaissance. Implantée au cœur du gisement de lithium, elle permettra l’extraction du minerai qui sera ensuite exploité dans une usine pilote de concentration. Cette structure pourra traiter, selon la préfecture, 40 tonnes de minerai par jour.
Phase de tests
L’autre autorisation délivrée par l’État concerne le site de La Loue à Saint-Victor (à proximité de Montluçon). Le groupe Imerys envisage d’y implanter une usine pilote de conversion du mica lithinifère en hydroxyde de lithium. Il a désormais le droit de l’exploiter. Sa capacité de production a été fixée à 1,2 tonne par jour.
Dans son communiqué, la préfecture rappelle que « ces autorisations environnementales concernent exclusivement des activités temporaires de recherche et de développement ». L’objectif d’Imerys étant de tester les processus de production avant de lancer officiellement l’exploitation commerciale de la mine d’Échassières.
Les services de l’État indiquent que les projets d’autorisation ont été présentés le 11 septembre devant le Comité départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques. « Lequel a émis un avis favorable unanime moins une abstention. »
Taille et qualité
Enfin, la préfecture précise que le groupe Imerys doit verser, au profit de l’État, une somme de 548.000 euros au titre de garanties financières afin d’assurer « la mise en sécurité de la galerie de reconnaissance lors d’une éventuelle cessation d’activité ».
Rappelons qu’au mois de juillet, Imerys avait annoncé qu’il reculait la date de mise en exploitation du gisement minier de l’Allier à 2030 en raison notamment de la faiblesse des cours du lithium. Dans la foulée, Sébastien Rouge, directeur financier du groupe, avait déclaré à l’AFP : « La taille et la qualité du gisement nous permettent d’envisager cinquante ans d’exploitation. » Soit vingt-cinq ans de plus que ce qui était envisagé au départ.
Pas de quoi rassurer les opposants au projet qui dénoncent des risques de pollution et s’interrogent sur la destination des résidus qu’engendrera l’exploitation de la mine de lithium d’Échassières.
[ pompé sur lefigaro.fr ]
Les autorités indonésiennes ont pris le contrôle d’une partie de la plus grande mine de nickel au monde, en partie détenue de façon indirecte par le groupe minier français Eramet, en raison de l’absence de permis forestier, a déclaré un responsable indonésien. La mine Weda Bay Nickel, critiquée pour ses effets sur la forêt environnante, s’étend sur 45.000 hectares sur l’île de Halmahera aux Moluques (est). Les autorités ont désormais saisi près de 150 hectares qui empiétaient sur des zones forestières sans permis, a déclaré Anang Supriatna, porte-parole du bureau du procureur général indonésien. Les autorités ont «pris le contrôle de la zone (…) et le terrain sera restitué au gouvernement», a-t-il ajouté.
Weda Bay Nickel (WBN) est une société commune entre le groupe indonésien Antam et la société singapourienne Strand Minerals, qui a elle-même pour actionnaires le groupe minier français Eramet et le géant chinois de la sidérurgie Tsingshan. Dans un communiqué, Eramet a indiqué que la zone saisie était «une carrière produisant des roches pour les matériaux de construction et d’entretien» et que les opérations minières n’étaient pas affectées. Le gouvernement indonésien examine actuellement d’éventuelles violations de la réglementation forestière dans plusieurs secteurs, notamment ceux de l’huile de palme et des mines. WBN indique représenter 17% de la production mondiale de nickel en 2023. L’exploitation du site fait l’objet de critiques récurrentes en raison du danger que son exploitation fait peser sur la forêt et sur la survie d’une tribu qui y vit sans contact avec la civilisation moderne.
Une enquête de l’AFP menée en juin a ainsi montré les effets sur les membres de l’une des dernières communautés de chasseurs-cueilleurs isolées du pays, la tribu indigène des Hongana Manyawa. Cette communauté affirme que la forêt dont elle dépend depuis toujours pour se nourrir et s’abriter est détruite par la déforestation et la dégradation de l’environnement liées à la mine. WBN rejette les allégations et affirme s’engager en faveur d’une «exploitation minière responsable et de la protection de l’environnement». Des militants pour la protection de l’environnement estiment que cette saisie n’est pas susceptible de modifier l’impact plus large de la concession sur les communautés locales. Ils exhortent le gouvernement à remettre les terres saisies aux résidents concernés.
«Si la saisie vise à bénéficier au peuple, alors c’est le peuple qui devrait gérer (le terrain)», a déclaré Melky Nahar, coordinateur du groupe environnemental Mining Advocacy Network. Le nickel est au cœur de la stratégie de croissance de l’Indonésie, qui a interdit les exportations de minerai en 2020 afin de mieux le valoriser. L’Indonésie est à la fois le plus grand producteur mondial de ce minerai et le pays qui en possède les plus grandes réserves connues. Selon des données officielles, l’exploitation minière, dominée par le charbon et le nickel, représentait près de 9% du PIB indonésien au premier trimestre 2025.
[pompé sur médiapart.fr ]
Des taux plus de 10 fois supérieurs à la normale ont été mesurés à proximité des sites de l’industriel français en Mongolie par un chercheur indépendant. Ce dernier a été arrêté en août par la police locale, alors qu’il effectuait des mesures sur place.
Dans le sud-est de la Mongolie s’étend le désert de Gobi, l’un des plus vastes du monde et lieu de passage des routes de la soie pendant plusieurs siècles. C’est aussi là que sous le sable et les roches s’étend une prometteuse réserve d’uranium naturel, ce minerai qui sert à fabriquer le combustible des installations nucléaires. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) estime que l’État asiatique pourrait commencer à en produire – quelques centaines de tonnes par an d’ici à 2030.
Le géant français du nucléaire Orano y cherche la précieuse ressource depuis la fin des années 1990. En 2002 est découvert le gisement de Dulaan Uul et surtout en 2010 celui de Zuuvch Ovoo, le plus abondant. En janvier 2025, un contrat est signé avec le gouvernement mongol pour le développement du site, et une mise en exploitation est espérée pour 2029.
C’est à cet endroit qu’un physicien russe, spécialiste du nucléaire et engagé dans la critique de cette technologie, Andrey Ozharovsky, a mesuré des taux de radioactivité plus de dix fois supérieurs à la normale, lors d’un déplacement mi-août 2025.
Selon les relevés géolocalisés de ses dosimètres que Mediapart a pu voir, des niveaux supérieurs à 2 microsieverts par heure ont été mesurés en trois points, situés à une dizaine de kilomètres de la mine de Dulaan Uul. Le sievert est une unité servant à mesurer les effets de la radioactivité sur le corps. Ces points chauds se situent sur des routes empruntées par les travailleurs de la mine, selon l’expert, qui s’est filmé sur place, en compagnie de membres d’une association d’habitant·es.
Interrompu en pleine prise de mesures
Or, « quand on se trouve loin de ces sites, la dose de radioactivité mesurée tombe à 0,12 et 0,08 microsieverts », poursuit le chercheur. L’écart entre ces niveaux révèle la présence d’« une contamination radioactive » dans le sol en trois endroits, écrit-il dans un courrier de synthèse de ses découvertes, envoyé à la commission chargée du nucléaire en Mongolie, que Mediapart a pu lire.
Pour savoir où mesurer la radioactivité, le groupe a sillonné en voiture les abords des mines d’uranium, leurs appareils ouverts à bord de leur véhicule. Quand un taux supérieur à la normale était détecté, le chercheur descendait pour mesurer à pied, à environ 10 à 20 centimètres du sol, la présence de rayonnement.
Mais il n’a pas pu aller au bout de ses recherches, car la police de l’immigration mongole l’a arrêté alors qu’il se trouvait près d’une ancienne mine soviétique, avant de l’expulser (voir l’encadré). Certaines photos et vidéos qu’il avait enregistrées ont été détruites par les officiers de renseignement venus l’interroger dans la ville de Choïbalsan, selon le chercheur.
Pourquoi Andrey Ozharovsky a-t-il été arrêté ?
C’est à proximité d’une ancienne mine soviétique, après avoir quitté les abords des sites d’Orano, qu’Andrey Ozharowky a été arrêté, le 19 août, par la police de l’immigration mongole. Il a ensuite été conduit dans la ville de Choïbalsan, puis à Oulan-Bator, la capitale, où il a été interrogé sur les raisons de sa présence en Mongolie, dit-il. Contactées par Mediapart, les autorités mongoles n’ont pas répondu à nos questions.
Quelques jours plus tard, il a été expulsé vers la Russie, et fait l’objet d’une interdiction de séjour de trois ans en Mongolie. Le grief retenu contre lui est de s’être rendu sur le territoire mongol avec un statut de touriste et sans avoir prévenu de ses activités de mesure.
Il est aussi sanctionné pour n’avoir pas déclaré ses dosimètres auprès des autorités. Selon l’article 10 de la loi sur le nucléaire mongole, tout appareil de mesure de radioactivité doit être déclaré aux autorités et validé par leurs soins avant d’être utilisé. L’expert chercheur russe reconnaît « une erreur » sur ce point et assure qu’il n’était pas au courant de cette règle. L’un des militants associatifs qui l’a accompagné dans le désert de Gobi fait lui-même l’objet de poursuites. Andrey Ozharowsky veut désormais saisir le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs et défenseuses de l’environnement, Michel Forst.
Joint par Mediapart, il explique ainsi : « Tout le désert n’est pas pollué, mais nous avons identifié trois zones de pollution. Or, pendant la saison sèche, rouler sur une route polluée est dangereux. Quand les véhicules passent, de la poussière radioactive s’élève, qui peut être respirée par les personnes se trouvant dans les autres véhicules. »
C’est aussi ce qu’il explique dans son courrier à la Commission nucléaire de Mongolie : « Des particules radioactives peuvent se déposer sur les vêtements et les cheveux, mais aussi dans les poumons. Et l’irradiation interne est beaucoup plus dangereuse qu’en externe. »
Contacté par Mediapart, Orano répond qu’autour de ses installations, une « surveillance environnementale régulière est effectuée selon les meilleurs standards internationaux » et conformément aux « plans annuels de surveillance et de gestion environnementales approuvés par le ministère de l’environnement et du tourisme » de Mongolie.
Sur le site de Zuuvch Ovoo, qui pourrait entrer en exploitation en 2029, explique le groupe, « la dose ajoutée moyenne de rayonnement reçue par les employés durant toute la durée du projet pilote (soit deux ans) s’élève à 0,7 millisievert par an, un niveau largement inférieur au seuil fixé par la réglementation mongole et internationale ». Mais c’est à proximité de l’autre site minier que l’expert russe a fait ses mesures.
Il est très important que la compagnie minière, filiale d’Orano, explique l’origine de ces anomalies et pourquoi ces zones n’ont pas été assainies.
Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Criirad
En off, un salarié du groupe ironise sur des chiffres « très, très faibles », et « bien en dessous du bruit de fond en France », qui mettent en cause le sérieux de la démarche de l’expert russe, selon lui. En France métropolitaine, une personne reçoit en moyenne 4,5 millisieverts par an, soit l’équivalent de 4 500 microsieverts, l’unité utilisée par Ozharovsky.
« Ces chiffres ne peuvent pas être comparés, car ils ne mesurent pas la même chose », explique Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). « Pour évaluer l’exposition du public du fait de contaminations radioactives, il faut réaliser un autre calcul. À ce stade, pour la Mongolie, nous ne disposons pas d’assez d’éléments pour réaliser un calcul de dose reçue par la population », précise-t-il.
En revanche, et c’est là que ce spécialiste reconnu dans l’étude de la radioactivité, et qui a dirigé pendant trente ans le laboratoire de la Criirad, est catégorique, « détecter des débits de dose au contact du sol de plusieurs microsieverts par heure alors qu’autour le bruit de fond est très inférieur, montre clairement qu’il y a des anomalies radiologiques ». Selon lui, « on peut suspecter qu’il s’agit d’une contamination. Il est très important en tout cas que la compagnie minière, filiale d’Orano, explique l’origine de ces anomalies et pourquoi ces zones n’ont pas été assainies ».
Demande de vérification sans réponse
Enseignant à Moscou et engagé depuis de nombreuses années dans la dénonciation des dangers du nucléaire en Russie, Andrey Ozharovsky est bien connu des associations que Mediapart a sollicitées. « Je travaille avec lui depuis quinze ans, il a une solide formation scientifique en radioprotection et travaille depuis des années avec des ONG en Russie et il est très courageux », détaille Jan Haverkamp, membre de Nuclear Transparency Watch, un réseau associatif auquel appartient aussi l’expert russe.
« Andrey est ingénieur physicien diplômé de l’institut Kourtchatov, qui est certainement l’institution russe la plus réputée en matière de recherche nucléaire, ajoute Jean-Luc Thierry, de l’association Global Chance. Il a travaillé de nombreuses années comme expert pour l’association Bellona qui s’intéresse notamment aux déchets nucléaires russes en mer de Barents et est membre de l’Union socio-écologique, une organisation russe indépendante très sérieuse, affiliée aux Amis de la Terre. »
À la suite de ses mesures, Ozharovsky a saisi la commission chargée de la sûreté nucléaire en Mongolie – le pays n’a pas de centrale nucléaire – et lui a demandé de réaliser des mesures de vérification aux mêmes endroits. Sollicitée par Mediapart pour savoir quelles suites elle entendait donner à cette affaire, elle ne nous a pas répondu.
Grandes difficultés pour l’expertise indépendante
Au-delà des niveaux mesurés, c’est la nature des radioéléments enregistrés qui est révélatrice. Car les spectromètres d’Ozharovsky ont enregistré la présence d’uranium et de ses produits de décomposition : radium 226, bismuth 214 et plomb 214. « Ces substances sont caractéristiques de fuites de mines d’uranium utilisant la méthode de récupération in situ », ajoute l’expert.
C’est précisément cette technique, appelée ISR, qu’Orano expérimente en Mongolie : elle est réputée plus écologique, car elle consiste à extraire l’uranium de la roche en sous-sol, par l’injection de produits chimiques. Cela évite de répandre des poussières de pollution radioactives dans l’atmosphère, et laisse les résidus de traitement en sous-sol – la gestion de ces déchets est particulièrement complexe dans l’exploitation minière traditionnelle.
Or, dans la même région du désert de Gobi, mais loin des mines, les spectromètres n’ont pas mesuré le même type de radiations : a été enregistré « un pic de K 40 », qui n’est autre que l’isotope radioactif du potassium, un signe de radioactivité naturelle.
Orano répond : « Toutes les inspections organisées par le gouvernement ou par des organisations professionnelles indépendantes ont abouti à la conclusion qu’il n’y avait pas d’impact négatif sur l’environnement et la santé des personnes et du bétail lié à l’uranium provenant de l’activité du projet qui est entré en phase de construction. »
Des éleveurs traditionnels du désert de Gobi alertent depuis plusieurs années sur une mortalité inhabituelle de leur cheptel, ainsi que sur des malformations d’animaux.
Selon Bruno Chareyron, qui a aussi eu accès aux mesures réalisées par Ozharovsky en Mongolie, l’analyse par spectrométrie gamma – qui sert à identifier la nature des rayonnements – « montre que la radioactivité qu’il a mesurée est liée à l’uranium et à ses descendants », c’est-à-dire ses différentes formes d’évolution.
« Or, elles ont été réalisées dans une zone d’exploration d’uranium. Pour aller plus loin, il faudrait pouvoir faire des analyses complémentaires du sol. Quelle qu’en soit l’origine, tant que cette radioactivité persiste, il y a un danger », pour les animaux et les habitant·es.
S’il s’avérait que cette radioactivité mesurée par Ozharovsky à proximité des sites d’Orano était d’origine naturelle, ce serait tout de même un sujet sérieux à traiter. D’autant que « l’exploitation de mine d’uranium fait toujours remonter de la radioactivité vers la surface », explique Bruno Chareyron.
Des éleveurs traditionnels du désert de Gobi alertent depuis plusieurs années sur une mortalité inhabituelle de leur cheptel, ainsi que sur des malformations d’animaux. Des photos et des vidéos circulent sur des réseaux sociaux mongoles, accusant les mines d’uranium d’être à l’origine de ces problèmes. La Criirad tente depuis 2021 de monter une mission de contrôle sur le terrain dans le cadre d’une action en justice des associations locales, sans succès jusqu’à présent.
De manière générale, Bruno Chareyron constate souvent autour des mines d’uranium, au Niger, au Kazakhstan ou en Mongolie, « une grande difficulté à effectuer un contrôle indépendant ». À ses yeux, « c’est profondément choquant ».
La Commission européenne a approuvé, en mars, 47 projets miniers sur son territoire. Le but : garantir un approvisionnement local en minerais essentiels aux batteries électriques notamment. Mais les habitants des zones concernées s’interrogent sur les avantages réels et les impacts de ces exploitations sur l’environnement. Le reportage de “Climate Home News”.
L’accompagnateur en montagne, Eduardo Mostazo, est né et a grandi à Cáceres, une petite ville du sud-ouest de l’Espagne proche du Portugal. Après avoir souffert de l’exode rural, sa commune fait aujourd’hui face à une nouvelle menace : un projet de mine de lithium, qui pourrait souiller les sources d’eau et polluer la montagne voisine, compromettant la survie d’oiseaux comme l’aigle impérial espagnol, une espèce en voie de disparition. C’est en tout cas ce que redoutent Eduardo et d’autres militants locaux.
Leur lutte pour protéger leur bel environnement est révélatrice d’un dilemme auquel l’Europe est de plus en plus confrontée, à l’heure où elle a engagé une course à l’extraction et à la production sur son sol de minerais tels que le lithium, essentiel pour réaliser sa transition vers des énergies propres sans dépendre des importations en provenance de Chine et d’autres pays émergents.
D’un côté, les bureaucrates des capitales européennes sont sous pression pour garantir un approvisionnement local ; de l’autre, les habitants des lieux où se trouvent les ressources s’interrogent sur les avantages réels que leur apportera leur exploitation.
Ces derniers nous ont confié souhaiter avoir davantage d’informations avant de donner leur accord à des projets miniers pour lesquels ils estiment ne pas avoir été suffisamment consultés. Ils veulent obtenir la garantie que les milieux naturels, qui font vivre la population locale, ne seront pas endommagés par cette ruée vers les minerais.
À Cáceres, la société minière Extremadura New Energies (ENE, filiale de la société australienne Infinity Lithium) a promis de créer 1 500 emplois pendant la construction de la mine et 700 emplois pendant les vingt-six années de son exploitation.
Néanmoins, la population craint que la mine ne sape les deux grands piliers de l’économie locale que sont le tourisme et l’agriculture. “Évoquer d’autres solutions est impossible, déplore Eduardo Mostazo. On a l’impression que les dirigeants politiques n’étudient pas vraiment le dossier dès lors qu’il provient d’une grande entreprise prête à mettre des millions sur la table ; ils se laissent aveugler par les promesses.”
Dans le cadre de son plan de développement des énergies propres et de l’électricité, la Commission européenne veut réduire sa dépendance vis-à-vis des minéraux produits en Chine. Il s’agit de faire en sorte qu’au moins 10 % des matières premières essentielles comme le lithium, le cuivre et le nickel soient extraites en Europe d’ici à 2030.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de lithium – un composant majeur des batteries des voitures électriques – pourrait être multipliée par 42 d’ici à 2040 par rapport à son niveau de 2020. Actuellement, l’UE compte sur les importations pour les quatre cinquièmes du lithium extrait et la totalité du lithium transformé.
Pour Santos Barrios, spécialiste en cristallographie et minéralogie à l’université de Salamanque, la dépendance de l’Europe en ce qui concernr ces minéraux “est un très gros problème”, car ces matériaux proviennent de pays peu regardants en matière de protection sociale et environnementale. Il explique :
“On les importe d’endroits où il est bien moins cher de les extraire qu’ici, mais au détriment de beaucoup de choses.”
L’idéal, à ses yeux, serait de ne plus dépendre de “pays qui ne sont pas totalement transparents, comme la Chine”.
Afin d’accélérer la transition avant l’échéance de 2030, la Commission européenne a approuvé en mars quarante-sept projets miniers stratégiques, qui bénéficieront de procédures d’autorisation accélérées et d’un accès plus facile aux financements proposés par l’UE.
Avec respectivement six et cinq projets, l’Espagne et la Finlande sont les pays de l’UE qui ont le plus grand nombre de programmes stratégiques impliquant l’extraction de matières premières essentielles, accompagnée ou non d’un raffinage.
ENE a postulé à ces projets, mais sa candidature n’a pas encore été retenue à cause de retards dans la procédure d’autorisation. Sa demande de permis d’exploitation est toujours en cours de traitement par le gouvernement régional, qui lui a demandé de fournir davantage de renseignements sur ce qu’elle veut faire.
À seulement 40 kilomètres plus au nord, à Cañaveral, de nombreux habitants ont été consternés d’apprendre qu’un projet minier voisin, mené par la société Lithium Iberia, figurait sur la liste. Un collectif de citoyens opposés à la mine, car inquiets de ses éventuels effets sur les sources d’eau et les milieux naturels, prépare une lettre qu’il veut adresser à la présidente du Parlement européen pour demander l’accès au dossier, en particulier à l’étude d’impact environnemental et à la méthodologie utilisée pour évaluer les demandes.
Mais la Commission européenne a déjà refusé plusieurs demandes en ce sens, sous prétexte qu’il s’agit d’informations professionnelles sensibles, explique Julio César Pintos Cubo, de l’association écologiste Ecologistas en Acción.
D’autres associations, comme Les Amis de la Terre Europe, dénoncent par ailleurs le manque de transparence et l’absence d’implication de la société civile dans les projets stratégiques menés dans le cadre de la loi européenne sur les matières premières essentielles. Ni la Commission ni les États membres de l’UE n’ont autorisé l’accès aux documents soumis par les candidats.
“Il ne faut pas assouplir le droit européen pour arranger des entreprises mal réglementées (un phénomène malheureusement courant dans le secteur minier), avec une administration qui renoncerait à toute transparence et à appliquer les réglementations en matière d’eau et d’environnement pour s’aligner sur les pratiques du lobby minier”, souligne Julio César Pintos Cubo.
Un porte-parole de la Commission nous a indiqué que les projets concernant les minéraux stratégiques avaient été soumis à des experts indépendants, qui avaient été priés d’évaluer, entre autres, leur capacité à être “mis en œuvre de manière durable”.
De l’avis des spécialistes, le manque de transparence et de participation locale dans la sélection des projets stratégiques de l’UE pourrait nuire à leur bonne mise en œuvre.
“Cela va générer de l’opposition parce que l’Union européenne prend ces décisions à Bruxelles, en suivant une procédure accélérée pour les nouveaux projets. Il n’y a pas eu de véritable consultation, et il y a beaucoup de pression pour atteindre les objectifs”, explique Marco Siddi, chercheur à l’Institut finlandais des affaires internationales. Comme ces projets miniers à fort enjeu ne cherchent pas à obtenir une “légitimité démocratique”, ils pourraient provoquer une réaction sociale semblable à celle des “gilets jaunes”, met-il en garde.
Le porte-parole de la Commission souligne que ce sont les pouvoirs publics des différents pays qui sont surtout responsables de la mise en œuvre de ces projets stratégiques, et notamment de la consultation des populations locales, “conformément aux règlements nationaux”.
Santos Barrios estime qu’il faut veiller à prendre en compte toutes les opinions et à minimiser les dégâts environnementaux, mais que c’est au personnel qualifié que doit revenir le dernier mot.
Interrogé sur une éventuelle consultation de la population sur le projet stratégique de Cañaveral, ainsi que sur ses modalités, le gouvernement de la région d’Estrémadure, en Espagne, n’a pas donné suite à notre demande.
Quelque temps auparavant, la directrice générale de l’industrie, de l’énergie et des mines de la région, Raquel Pastor, nous avait dit :
“Les projets qui génèrent de l’emploi, de la richesse et du développement dans la région sont les bienvenus, quelle que soit leur nature, dès lors qu’ils respectent les règlements, en particulier en matière d’environnement bien sûr, et la loi.”
Quant aux compagnies minières, elles ont promis dans la plupart des cas de minimiser l’impact de leurs opérations sur les milieux naturels et d’œuvrer en faveur du développement rural.
Ainsi, Ramón Jiménez Serrano, le PDG d’ENE, nous a assuré que la mine de Cáceres – qui prévoit également d’accueillir une usine de raffinage à proximité – n’utiliserait que des eaux usées traitées et n’aurait donc pas d’incidence sur les réserves d’eau locales. Malgré cela, la demande de permis déposée par l’entreprise auprès du service des eaux a été rejetée.
Selon Steve Emerman, un expert indépendant spécialisé en géophysique et en exploitation minière qui a été appelé à témoigner devant le Parlement européen sur cette question :
“On ne connaît aucun cas de mine industrielle moderne dont l’exploitation et la fermeture n’ont pas entraîné de pollution de l’environnement.”
Par un après-midi froid et venteux de janvier, à 150 kilomètres au nord de Cáceres, une centaine de personnes venues des villages voisins, dont le prêtre local, se pressent dans le centre culturel de Ciudad Rodrigo, une ville de la région de Salamanque ; elles sont venues assister à une réunion de présentation des conséquences d’un autre projet d’exploitation minière de lithium dans la région.
Le projet en question, mené par une autre société minière australienne, Energy Transition Minerals, en est encore à ses tout débuts et ne figure pas sur la liste des projets stratégiques de l’UE, mais il fait naître de plus en plus d’inquiétudes quant aux effets qu’il pourrait avoir sur le paysage de la région et sur les emplois traditionnels. Selon l’entreprise, Salamanque est la région d’Europe qui possède la plus forte concentration de matières premières d’importance majeure (lithium, cuivre, tantale).
Dans ce domaine, les entreprises étrangères sont de plus en plus nombreuses à vouloir prendre le train en marche en Europe. Beaucoup sont des “petites” sociétés minières qui ne disposent pas de la capacité financière et technique d’extraire les matériaux du sol, explique Steve Emerman : “Elles veulent simplement obtenir le permis pour pouvoir le revendre ensuite à quelqu’un en mesure de mener à bien le projet.”
En Bosnie-Herzégovine, un pays candidat à l’adhésion à l’UE, où la ruée vers le lithium a atteint la petite ville de Lopare, dans le nord-est du pays, la population locale craint d’être dans ce cas de figure. En 2023, la petite société minière suisse Arcore AG a annoncé avoir trouvé un “bon filon” dans cette région vallonnée et densément boisée, aux riches gisements de lithium. Elle attend actuellement que sa demande d’octroi de concession soit approuvée par l’administration de la République serbe de Bosnie, l’une des deux entités gouvernementales du pays.
Azra Berbic, avocate engagée dans la défense de l’environnement, pense que, selon toute probabilité, une autre entreprise, disposant de plus de ressources et de fonds, va racheter la concession pour procéder à l’extraction du lithium : “On a déjà connu ça par le passé. C’est pourquoi la population locale est si inquiète ; elle craint que l’accord ne soit vendu à une entreprise comme Rio Tinto.”
Pour l’instant, ce conglomérat australo-britannique, l’une des plus grandes sociétés minières du monde, ne s’est pas montré officiellement intéressé par Lopare. Rio Tinto souffre d’une image très négative à cause de ses pratiques en matière d’environnement et de travail dans le monde entier, notamment dans la Serbie voisine, où son investissement de 2,4 milliards de dollars [environ 2 milliards d’euros] dans un projet de mine de lithium à Jadar [dans l’ouest de la Serbie] a soulevé une vague de protestations.
Lorsqu’elle avait annoncé le lancement du projet en 2021, l’entreprise avait pourtant affiché sa volonté de limiter au maximum son impact sur la population locale. Elle comptait construire la mine de Jadar “dans le respect des normes environnementales les plus sévères”, en ayant en particulier recours à un empilage à sec des résidus pour éviter leur stockage dans une digue de retenue, et en traitant l’eau pour qu’elle soit à 70 % de source recyclée.
Dans le cas de la mine espagnole de Cáceres, ENE a déclaré qu’elle fonctionnerait avec 100 % d’énergie renouvelable, même si son PDG, Ramón Jiménez Serrano, a admis qu’il n’était pas encore possible de faire tourner à l’électricité toutes les machines de surface nécessaires.
À Salamanque, le porte-parole d’Energy Transition Minerals, Jorge Gil Mediavilla, explique que “[son] entreprise a accepté de renoncer à exploiter la mine à ciel ouvert, en choisissant plutôt de procéder à de petites opérations minières souterraines très concentrées, quitte à gagner moins d’argent”.
Il n’en reste pas moins que certains spécialistes se montrent sceptiques quant à la viabilité du projet. “Je doute qu’il soit rentable”, dit Antonio Areas, un acteur de longue date du secteur minier dans la région, tandis que le géologue Antonio Aretxabala fait remarquer qu’il s’agira de la première mine de lithium souterraine au monde.
Selon Ángel Sánchez Corral, le porte-parole du collectif antimine El Rebollar Vivo à Salamanque, beaucoup d’habitants des communes concernées ne sont pas convaincus par la pression que met l’UE pour promouvoir la production locale de minerais essentiels, ni par les promesses de croissance économique et d’emploi que leur font miroiter leurs dirigeants politiques.
“Le lancement de ces projets stratégiques par l’UE constitue un pas en arrière en termes de protection de l’environnement et de droits sociaux et territoriaux, au profit de l’industrie extractive et des entreprises spéculatives. Cela nous fait perdre confiance dans les institutions de l’UE”, regrette le militant.
Ce livre parle d’une lutte contre un projet de mine de fer à ciel ouvert, au cœur de l’élevage de rennes des Samis à Gàllok. En mars 2022, le gouvernement suédois a accordé à l’entreprise britannique Beowulf Mining une autorisation d’exploitation. La future mine se situe au cœur du territoire Sapmi occupée par les Suédois, l’accaparement colonial de ces terres fait l’objet de fortes contestations. En 2013, un forage d’essai à Gallok a suscité une résistance croissante sous la forme d’un barrage routier et d’un camp de protestation. À l’occasion du dixième anniversaire de cet événement et dans le contexte d’une acuité croissante de l’affaire Gallok, ce livre offre un aperçu du contexte plus large de l’exploitation coloniale et de la dévastation environnementale au sein de ce territoire sous domination suédoise.
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