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Le retour en grâce d’Erik Prince, fondateur de Blackwater
L’ancien PDG de « l’armée privée la plus puissante du monde » reprend son business de la guerre et de la sécurité à travers son entreprise Vectus Global, prônant sans ambages une nouvelle forme de colonialisme dans les Etats rongés par la corruption.
Erik Prince est de retour. A Haïti ou au Salvador, en passant par le Pérou, l’Equateur et jusqu’à la République démocratique du Congo (RDC) ; entre lutte contre le trafic de drogue, expulsion de migrants illégaux, guerre contre les groupes armés non étatiques et sécurisation de carrés miniers en Afrique, le fondateur et ancien PDG de la société de sécurité privée Blackwater multiplie les apparitions depuis la réélection, fin 2024, de son meilleur allié à la Maison Blanche, Donald Trump, dont il est un ardent supporteur. Certes, ce n’est plus le flamboiement d’il y a une vingtaine d’années. L’ancien militaire du commando d’élite de la marine américaine, les Navy SEAL (acronyme de Sea, Air, Land : « mer, air et terre »), héritier d’une riche famille établie sur les rives du lac Michigan, dirigeait alors Blackwater – rebaptisé depuis « Academi » –, « l’armée privée la plus puissante du monde », pour reprendre le titre du livre-enquête de Jeremy Scahill (Actes Sud, 2008). C’étaient les années de présidence de George W. Bush (2001-2009), celles de la privatisation de la défense américaine menée tambour battant par le secrétaire à la défense de l’époque, Donald Rumsfeld. En 2006, trois ans après l’invasion de l’Irak par les forces américaines, il y avait là presque autant de contractuels que de GI engagés dans la « guerre contre la terreur ». Blackwater comptait plus de 20 000 employés et autant de réservistes. Puis Erik Prince fut contraint de revendre son fleuron après la tuerie de la place Nisour, en 2007, au cours de laquelle 17 civils innocents tombèrent à un carrefour sous les balles des mercenaires de Blackwater escortant un convoi de l’ambassade américaine à Bagdad. Les quatre contractuels impliqués dans la fusillade, jugés et condamnés à leur retour aux Etats-Unis, ont ensuite été graciés par Donald Trump à la fin de son premier mandat. Dorénavant, Vectus Global, la tête de pont du système Erik Prince, ne compterait que quelques dizaines d’employés permanents. Mais l’entreprise chapeaute une myriade de sociétés de sécurité, dont certaines sont enregistrées aux Emirats arabes unis. Si l’architecture légale a changé, le secteur d’activité est le même : le business de la guerre et de la sécurité, source de profits financiers là où les Etats faibles vacillent. Et, à entendre Erik Prince, un certain nombre d’Etats africains entrent dans ce cadre. Le 15 février, dans son podcast « Off Leash », Erik Prince jugeait qu’« il est temps [pour les Etats-Unis] d’endosser de nouveau le costume impérialiste et de dire qu’[ils] v[ont] gouverner ces pays incapables de le faire eux-mêmes, (…) tous ces gouvernements africains qui ne pensent qu’à piller et à se remplir les poches ». Interrogé pour savoir s’il prônait une nouvelle forme de colonialisme, il répondait : « Oui, absolument oui. » Pourquoi pas la RDC ? Etat faible rongé par la corruption, pays immense déstabilisé par des années de guerre civile mais aux richesses minérales considérables, la RDC a de quoi aiguiser les nouvelles ambitions du « civilian warrior » (« guerrier civil »), tel qu’il se définit lui-même. D’autant qu’il n’est pas là en terre inconnue. Il y a développé des affaires en 2015 dans le domaine de la logistique, au service d’entreprises minières chinoises qui dominent le secteur, ainsi que dans le domaine diamantifère dans la province du Kasaï, selon plusieurs sources. C’est en 2023 que son nom commence vraiment à circuler dans le pays, dans le contexte guerrier de la résurgence, après dix ans de sommeil, du Mouvement du 23 mars (M23). Constituée autour de membres de la communauté tutsi de l’extrême est du Congo disant se battre pour la défense de leurs droits bafoués, cette rébellion congolaise ne serait probablement rien sans le soutien stratégique, technologique et financier du Rwanda voisin. Face à eux, les forces armées congolaises et leurs milices alliées n’ont fait que reculer. D’où l’idée de Kinshasa de faire appel à des intervenants étrangers pour pallier sa faillite sécuritaire. Erik Prince se met alors sur les rangs. « Les autorités congolaises ont planifié l’envoi de 2 500 contractuels originaires de Colombie, du Mexique et d’Argentine au Nord-Kivu pour stopper l’avancée du M23 et sécuriser les zones minières dans l’Est [conformément à] un accord conclu entre la RDC et les Emirats arabes unis », écrit, en décembre 2023, le groupe d’expert des Nations unies sur la RDC. Six mois plus tard, ils précisent leur propos, affirmant qu’Erik Prince dirige les négociations pour ce déploiement – le sous-continent américain constituant son principal vivier de contractuels, comme à l’époque de Blackwater. Le projet serait alors soutenu par Kahumbu Mandungu Bula, alias Kao, conseiller personnel à la sécurité du président Félix Tshisekedi, et « l’un des hommes-clés des relations avec les Etats-Unis », glisse un membre du sérail présidentiel congolais. Les Emirats arabes unis, pays dans lequel Erik Prince a rebondi après avoir précipitamment quitté les Etats-Unis en 2010, ont démenti leur implication. A l’époque, le projet n’avait pas eu de suite. Les seuls contractuels alors déployés au Nord-Kivu étaient ceux d’Agemira, société fondée par le Français Olivier Bazin et recrutant essentiellement d’anciens militaires français, travaillant main dans la main avec les Roumains de l’entreprise Congo Protection. Mais l’effondrement de toute l’architecture sécuritaire congolaise dans l’est du pays, à partir de fin 2024, va libérer le terrain pour Erik Prince. En décembre 2024, Kinshasa conclut un contrat de cinq ans avec lui par le biais d’un système complexe d’entreprises dont certaines sont implantées aux Emirats arabes unis. « Ce contrat comporte deux volets, l’un minier, l’autre sécuritaire, le premier permettant de financer le second », explique une source. Autrement dit, une déclinaison de la politique de Donald Trump, adepte des « deals » business contre sécurité sur la scène internationale. Dans le cas précis de la RDC, Washington négocie depuis plusieurs mois avec Kinshasa la contrepartie économique – dans le domaine des minerais stratégiques essentiellement – de son engagement pour aboutir à un accord de paix durable dans l’est du pays et le garantir. Erik Prince ne dit rien d’autre. Selon les experts de l’Organisation des Nations unies, il propose de « sécuriser le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri [trois provinces de l’est de la RDC] grâce à la formation et au déploiement de troupes au sol et à l’exploitation de moyens aériens, y compris des drones armés ». La partie financière repose sur la mise en place d’une « police des mines » chargée de percevoir des recettes fiscales auprès des entreprises minières. « Nous mettons sur pied une brigade financière en apportant l’expertise nécessaire, en améliorant les compétences des forces de l’ordre locales dans leur lutte contre le trafic [l’exportation illégale de minerais] et la fraude fiscale », confirme Erik Prince dans un entretien publié, le 11 septembre, par l’hebdomadaire Le Point. Selon un élu congolais originaire de l’Est, dont les propos sont recoupés par d’autres témoignages, « une centaine de contractuels armés sud-américains ont été vus, au mois de juillet, à bord de véhicules de l’armée congolaise dans les rues de Walikale, ainsi que sur le tarmac de l’aéroport de Kisangani ». « Ils étaient peut-être là pour sécuriser les installations d’Alphamin », avance-t-il. Cette société exploite l’important gisement d’étain de Bisie (6 % de l’offre mondiale en 2024, troisième mine au monde en matière de production), sur le territoire administratif de Walikale. Alphamin avait suspendu temporairement son activité en mars, jusqu’au retrait, « sous pression américaine », du M23 de Walikale, confiait alors au Monde un dirigeant du M23. Détenue jusqu’à récemment par un fonds d’investissement anglo-américain, Alphamin Resources Corp est en cours de rachat par un groupe émirati, International Resources Holding. « Rien ne dit que ces Sud-Américains sont là dans le cadre du contrat d’Erik Prince. Une partie de l’Est non contrôlée par le M23, et Kisangani, est devenue une tour de Babel avec des contractuels slaves, sud-américains, turcs, est-européens, israéliens… Sans parler des forces armées congolaises. On ne sait pas qui fait quoi », explique un observateur étranger statutairement astreint à l’anonymat, de retour de cette ville-clé qui verrouille l’accès à Kinshasa, beaucoup plus loin à l’ouest. « Mais ce n’est pas exclu » qu’ils soient envoyés par le chef de Vectus Global, ajoute-t-il. Un ministre congolais affirme, quant à lui, que « le contrat d’Erik Prince auprès des entreprises minières porte sur des activités au Katanga, pas les Kivus ». Situé dans le sud de la RDC, le Katanga est le coffre-fort minier du pays, là où se situent les principaux gisements de cuivre et de cobalt, exploités essentiellement par des entreprises chinoises. Erik Prince aurait promis aux autorités congolaises de faire rentrer dans les caisses du pays les recettes fiscales que les exploitants des mines rechigneraient à payer, tout en se servant au passage. D’où cette proposition de « police des mines ». « Vous pensez qu’on les fera payer en frappant gentiment à leur porte ? », demandait Erik Prince dans une autre vidéo, postée sur X. Sous-entendu : la manière forte est le meilleur moyen pour collecter les taxes des récalcitrants. « Pour le moment, il n’y a rien de concret », relativise le ministre congolais précité. Les termes de l’accord conclu avec Kinshasa seraient très génériques. C. S., un Franco-Américain voulant garder l’anonymat, s’occupe pourtant à Kinshasa du volet sécuritaire du contrat, qu’une de nos sources évalue à 800 millions de dollars (680 millions d’euros). Ce « modèle » économique est globalement celui qu’il met en place à Haïti. L’ancien patron de Blackwater dit avoir conclu, en mars, un accord de dix ans avec les autorités de cette île des Caraïbes, mise en coupe réglée par des gangs armés. Dans une interview donnée mi-août à l’agence de presse Reuters, il se fixait comme objectif de stabiliser la sécurité du pays, avant de participer à la conception et à la mise en place d’un système de collecte des taxes sur les produits importés en Haïti depuis la République dominicaine. Il ponctionnera une partie des recettes douanières en échange de son « expertise » sécuritaire. Sa marque de fabrique ? L’utilisation de drones armés contre les gangs. Selon un rapport des Nations unies, 233 membres de gangs ont été éliminés en avril et en mai, ainsi que trois civils. « Le modèle Erik Prince se caractérise par sa participation aux combats, la congruence avec les activités minières, l’opacité de ses opérations », explique Djenabou Cissé, spécialiste des entreprises de services de sécurité et de défense en Afrique au sein de la Fondation pour la recherche stratégique. « Sans oublier, ajoute-t-elle, les liens avec l’administration américaine. » Issu d’une famille historiquement républicaine et ultraconservatrice, Erik Prince s’est d’ailleurs souvent vanté de sa proximité avec l’entourage de Donald Trump. Parmi ses proches, tout particulièrement ceux du second mandat, figurent deux poids lourds de la sécurité américaine : le secrétaire à la défense, Pete Hegseth, et la directrice du renseignement national, Tulsi Gabbard.Pallier la faillite sécuritaire
« Police des mines »
« Une tour de Babel »
Drones armés contre les gangs