Dans l’Allier, inquiétudes autour de l’ouverture d’une mine de lithium et de ses matières radioactives

[pompé sur médiapart]

La production de matières radioactives d’un site d’Imerys dans l’Allier va considérablement augmenter si sa mine de lithium est autorisée. Mais personne, ou presque, n’est au courant. Car l’industriel s’est montré particulièrement discret sur ce sujet sensible qu’il a omis de déclarer pendant plusieurs années.

« Des produits radioactifs à Échassières ? Jamais entendu parler ! »

Maurice Deschamps est maire de Lalizolle (Allier), commune où pourrait voir le jour l’une des plus grandes mines de lithium d’Europe. La préfecture vient de donner le feu vert au groupe Imerys pour y construire un site pilote d’extraction et de transformation du minerai.

Contacté par Mediapart au téléphone, le maire, ancien responsable à la direction départementale de l’agriculture, assure avoir suivi la plupart des rencontres organisées par l’entreprise avec les élu·es depuis l’annonce du projet, en octobre 2022. « Jusqu’à une par mois, c’est beaucoup ! » Il a aussi assisté à plusieurs des vingt-quatre réunions publiques organisées par la Commission nationale du débat public (CNDP) entre mars et juillet 2024.

Pourtant, comme tous les édiles des communes voisines qu’a pu joindre Mediapart, Maurice Deschamps ignorait que le projet « Emili » (exploitation de mica lithinifère par Imerys) impliquerait de produire chaque année plus de 1 millier de tonnes de matières radioactives. Car dans cette même roche, Imerys compte extraire du lithium, mais aussi d’autres minéraux comme du tantale et de l’étain, particulièrement concentrés en uranium.

C’est sur la Bosse, une colline boisée qui domine le bocage bourbonnais, que le projet de mine s’apprête à démarrer. Pour atteindre le gisement de lithium, une galerie sera creusée sous une carrière de kaolin, matière première de la porcelaine, en exploitation depuis plus d’un siècle. Elle a été rachetée en 2005 par Imerys, propriété du groupe Bruxelles-Lambert (contrôlé par les familles de milliardaires Frère et Desmarais).

Activité nucléaire

À côté de la fosse d’extraction de kaolin se trouve une usine où le minerai est purifié et traité. Mais depuis les années 1980 au moins, on y traite aussi d’autres matériaux extraits dans cette fosse : de l’étain, du tantale et du niobium. Quand il sort de cette laverie, ce concentré de métaux bruts, semblable à une pâte noire, est stocké dans des fûts puis expédié à l’étranger. Les métaux, une fois purifiés dans une fonderie, pourront notamment être utilisés pour produire de l’électronique. Or, ce concentré métallique a une particularité sur laquelle l’industriel et les autorités se sont montrés très discrets : il est radioactif.

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Depuis les années 1980 au moins, on y traite aussi d’autres matériaux extraits dans cette fosse : de l’étain, du tantale et du niobium.  © Photo Celia Izoard pour Mediapart

Sa composition est donnée dans les petites lignes du dossier de l’enquête publique qui vient de s’achever en vue de la construction à Échassières des phases pilotes du projet Emili, une galerie de reconnaissance et une usine : « Le concentré [d’étain, tantale et niobium – ndlr] possède une certaine radioactivité du fait de la présence d’une faible concentration en uranium […] et thorium », a précisé l’industriel dans ce dossier d’enquête de 3 500 pages.

Pour les salariés du site et la population, il y a un risque d’exposition aux rayonnements et des sources de pollution importantes.

Julien Syren, géologue et codirecteur de la Criirad

« On peut estimer la radioactivité totale d’un tel concentré à environ 300 000 becquerels par kilogramme, explique Julien Syren, géologue et codirecteur de la Criirad, association d’expertise citoyenne (voir le détail du calcul en annexe)Ça n’a rien d’anecdotique ! » D’après le Code de la santé publique, la transformation, le stockage et le transport de ce minerai radioactif sont considérés comme une « activité nucléaire ». Le seuil fixé par l’administration est dépassé quand les produits émettent plus de 1 000 becquerels par kilogramme (Bq/kg) et que leur stockage excède 1 tonne. Imerys en produit environ 100 tonnes par an.

Si la mine d’Échassières voyait le jour, cette production radioactive changerait d’échelle. Imerys compte exploiter le lithium, mais aussi l’étain, le tantale et le niobium présents dans la même roche jusqu’à plus de 500 mètres de profondeur. « La production de lithium (quelle que soit sa forme) augmenterait automatiquement la production de concentré d’étain-tantale et niobium déjà commercialisé par Imerys », précise l’entreprise en 2020 dans sa demande de prolongation de permis d’exploration. Dans la mine de lithium, Imerys prévoit d’extraire quinze fois plus de roches que dans la carrière – et produirait donc au moins 1 500 tonnes de métaux radioactifs par an.

« Pour les salariés du site et la population, poursuit Julien Syren, il y a un risque d’exposition aux rayonnements et des sources de pollution importantes. Les poussières contenant de l’uranium et ses descendants radioactifs peuvent être ingérées, les radionucléides peuvent se retrouver dans les déchets miniers et dans les eaux. » Les faibles doses de radioactivité augmentent sensiblement le risque de cancer, comme l’a récemment mis en évidence une étude internationale parue dans le British Medical Journal. Julien Syren se dit très étonné que cet enjeu n’ait pas été traité « de façon centrale » pendant le débat public sur la mine de lithium.

La direction régionale de l’environnement Auvergne-Rhône-Alpes, responsable de la surveillance environnementale de la carrière, confirme à Mediapart que « l’usine de traitement du kaolin relève de la rubrique ICPE 1716-2 » qui encadre les usines « mettant en œuvre des substances radioactives d’origine naturelle ». L’Agence de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) est chargée de la surveillance radiologique du personnel de l’usine d’Imerys, qu’elle a inspectée plusieurs fois depuis 2009.

Les salariés de la laverie portent des dosimètres, et certains font l’objet d’un suivi médical spécifique. L’agence de sûreté nucléaire précise que « les transports des substances radioactives d’origine naturelle produites par le site d’Échassières sont soumis à la réglementation sur les marchandises dangereuses » et que « les colis sont contrôlés par sondage lors des inspections de l’ASNR ».

Non-conformité

Mais autour d’Échassières, personne n’était au courant. Pas même les associations de protection de l’environnement« Tous ces éléments auraient dû être donnés au public il y a bien longtemps, s’insurge Corinne Castanier, responsable en radioprotection à la Criirad. C’est étrange de ne pas prévenir les mairies qu’il pourrait y avoir une activité nucléaire sur leur commune. C’est encore plus étrange de ne pas les prévenir qu’il y en a déjà une ! », ajoute-t-elle à propos de la carrière de kaolin.

Même s’ils avaient épluché les documents administratifs concernant cette carrière, les élu·es concerné·es n’auraient pas trouvé trace de cette production radioactive : Imerys avait omis de la déclarer en préfecture, contrairement à ce que prévoit la loi depuis 2014. Les services de l’État ont confirmé à Mediapart que le groupe minier était en « non-conformité » jusqu’en novembre 2022, quand la déclaration d’activité nucléaire a finalement été faite, à la suite d’une inspection de l’usine. Mais une fois enregistrée, cette déclaration n’a pas été mise en ligne par la préfecture de l’Allier.

C’est pendant cette période de non-conformité, en 2021, qu’Imerys a obtenu l’autorisation de prolonger de trente ans l’activité de sa carrière – elle devait initialement s’arrêter en 2020 – et d’en doubler la surface. Sans que ni la rubrique administrative ICPE 1716-2 ni la production de substances radioactives aient été mentionnées dans l’enquête publique. L’étude d’impact ne la mentionne pas non plus.

« Le site dispose, de très longue date, de toutes les autorisations nécessaires pour stocker et transporter ces matières, nous répond Imerys. Lors du débat public de 2024, organisé par la commission nationale du débat public (CNDP)nous avons rappelé que le granite était bien porteur de ces éléments radioactifs », ajoute l’industriel (lire l’intégralité de sa réponse en annexe).

Un problème en réalité ancien

Imerys s’était engagé dans le cadre de ce débat à « partager toute l’information sur le projet Emili » et à s’aligner sur le « niveau de transparence très élevé » du standard minier Irma (Initiative for Responsible Mining Assurance), un label centré sur le partage d’information avec les populations.

En avril 2024, dans la salle des fêtes du bourg de Saint-Pourçain, dans l’Allier, s’est tenue la onzième soirée d’information sur la mine de lithium organisée par la CNDP. Ce soir-là, le public a un peu déserté. Micro en main, Grégoire Jean, directeur recherche et développement chez Imerys, présente, slide après slide, les enjeux environnementaux du projet. Apparaît sur l’écran une fiche intitulée « La radioactivité du granite de Beauvoir ».

La mine d’Échassières va générer environ 2 millions de tonnes de résidus par an, sous forme de boues.

Elle indique que pour éviter l’accumulation de radon, un gaz radioactif, il faudra ventiler les galeries de la mine, comme dans « les maisons et les caves » des régions granitiques. La production de matières radioactives n’est pas mentionnée lors de ce débat, pas plus qu’elle n’apparaît dans le « Dossier du maître d’ouvrage », le volume de 156 pages diffusé par Imerys pour décrire le projet minier. « On a un granite qui n’est pas spécialement radioactif, il est parfaitement classique », rassure Grégoire Jean au micro.

Un rapport critique

Pourtant, sa teneur en uranium semble poser problème depuis longtemps. Dans sa demande de permis d’exploration de 2020, Imerys mentionne qu’au début des années 1980, « une étude de faisabilité » pour une mine d’étain et de tantale à Échassières s’était révélée « négative » en raison notamment de « la présence d’uranium dans le concentré de tantale ». Elle avait été menée conjointement par le bureau des recherches géologiques et minières et l’entreprise Peñarroya… qui n’est autre que l’ancienne dénomination d’Imerys.

« Non seulement les données scientifiques accessibles montrent que le granite de Beauvoir contient plus d’uranium que la moyenne, analyse le géologue Julien Syren, mais de toute façon, le principal problème est la concentration de cette radioactivité dans les déchets et les sous-produits. »

La mine d’Échassières, si elle est construite, va générer environ 2 millions de tonnes de résidus par an, sous forme de boues rejetées par les deux usines de traitement du minerai, à Échassières et à Montluçon.

Quel serait le niveau de radioactivité de ces immenses volumes de déchets ? Quel serait le risque de contamination des sources et des eaux souterraines de la Bosse, réputée pour ses zones humides ?

Imerys déclare à Mediapart avoir « mis en avant avec l’exploitation actuelle de kaolin (dans un contexte quasi identique à celui du projet) [sa] capacité à maîtriser ces problématiques ». Dans l’enquête publique pour la création de la mine pilote, Imerys cite un seul rapport datant de 2010 à l’appui de l’absence de contamination radioactive. Un document que, malgré nos demandes, l’entreprise a refusé de communiquer.

En revanche, Mediapart s’est procuré un rapport rédigé en 2007 par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN, aujourd’hui fusionné avec l’ASNR), consacré à la carrière d’Échassières. Ce document exclusif que nous publions en annexe pointe plusieurs « incohérences » dans la surveillance radiologique des salariés. Il reproche à l’exploitant de ne pas surveiller la radioactivité dans les eaux rejetées « dans le ruisseau communal » et de n’avoir « procédé à aucune évaluation des doses auxquelles la population est susceptible d’être soumise ». Le directeur de l’IRSN concluait :

 « La radioprotection des populations est traitée sommairement. »

La situation a-t-elle changé ? La Criirad s’est saisie du dossier et a demandé des informations aux services de l’État. Pour les avocats de l’association Préservons la forêt des Colettes, opposée au projet minier, la découverte de cette production radioactive, trois ans après le lancement du projet Emili, est « sidérante », aussi bien« pour ce qu’elle révèle du projet que pour l’effort qui semble avoir été fait pour ne pas ébruiter ces informations déterminantes pour la population, ont réagi Théodore Catry et Benjamin Cottet-Emard. Imerys a eu bien des occasions de s’exprimer avec transparence, mais semble clairement avoir fait le choix de la rétention. » En haut de la colline d’Échassières, les engins s’activent pour construire la mine pilote autorisée fin septembre par la préfecture. L’autorisation environnementale qui vient d’être délivrée à Imerys ne prévoit aucune surveillance de la radioactivité.

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