Sans mine de manganèse, la France prêterait-elle quelque 170 millions d’euros au Gabon ?

[ pompé sur lemonde.fr ]

Le prêt de Paris en faveur du Transgabonais traduit une politique d’influence toujours d’actualité au Gabon, constate Julien Bouissou dans sa chronique.

En visite au Gabon le 23 novembre, Emmanuel Macron a plaidé pour un « partenariat réinventé » entre les deux pays. Avec le « nouveau Gabon », a expliqué le président français, « on doit réussir à construire de nouveaux modèles ». Un partenariat qui encourage par exemple la diversification de l’économie de ce petit pays d’Afrique centrale, très dépendante de l’exportation de ses matières premières.

Brice Oligui Nguema, le président gabonais, élu en avril avec près de 95 % des voix après un putsch, en 2023, qui a mis fin à cinquante-cinq ans de dynastie de la famille Bongo, a décidé d’interdire les exportations de manganèse brut à partir de 2029 – et ce pour développer sur place une industrie de transformation. « L’Afrique ne peut plus être un continent de simple extraction des ressources. On doit réussir à construire des nouveaux modèles », a acquiescé son homologue français.

La signature, au même moment, d’un prêt de 173 millions d’euros, par l’Agence française de développement (AFD), pour la « modernisation » du Transgabonais indique tout le contraire. Cette unique ligne ferroviaire du pays relie, sur 648 kilomètres, le port minéralier d’Owendo, près de Libreville, à la mine de manganèse de Moanda, exploitée par le groupe français Eramet, par l’intermédiaire de sa filiale Comilog.

Cette opération de « modernisation » vise en réalité à accroître les capacités de transport ferroviaire, permettant à Eramet, qui exploite la ligne, d’exporter des volumes encore plus importants de manganèse gabonais. Un financement qui ne va pas vraiment favoriser l’industrie locale de transformation du minerai, contrairement aux discours officiels. Seule une petite partie (17 %) de la production de la mine, qui représente à elle seule 15 % de l’offre mondiale, est transformée sur place.

Les défenseurs du projet de modernisation avancent qu’il sert à la fois les intérêts de la France et du Gabon. C’est en effet une « infrastructure vitale » dans un pays dépourvu de routes, puisqu’il transporte chaque année 300 000 passagers. Mais sans mine de manganèse exploitée par Eramet au bout de la ligne, la France prêterait-elle quelque 170 millions d’euros pour sa modernisation ?

Même histoire, mêmes arguments

Le Transgabonais est intimement lié à la France et à ses intérêts. Une situation qui n’a pas changé, soixante-cinq ans après l’indépendance du Gabon, et qui est défendue avec les mêmes arguments. Dès sa construction, en 1973, on dit de cette ligne ferroviaire qu’elle bénéficie aux deux pays. Omar Bongo y voit le symbole de l’« unité nationale » et de la « modernisation du pays », tandis que les dirigeants d’Eramet, déjà présent au Gabon à l’époque, en ont besoin pour doubler leur production minière.

L’aide sert aussi à maintenir l’influence de la France dans son ancienne colonie. Lorsque Paris hésite à financer, au début des années 1970, ce projet coûteux, Ali Bongo menace de faire allégeance au bloc de l’Est. Aujourd’hui, la France fait valoir que si elle ne défend plus ses intérêts au Gabon, alors elle laissera la place à la Chine ou à la Russie. D’autant que le manganèse est un minerai toujours considéré comme stratégique. Il était jadis utilisé dans les alliages, notamment pour l’acier produit en Europe ; il l’est désormais pour les batteries de véhicules électriques. La Commission européenne l’a classé dans les 23 matières premières critiques pour la transition énergétique et versera 30 millions d’euros supplémentaires au projet de modernisation.

Le président gabonais, Brice Oligui Nguema (à droite), et Emmanuel Macron, à Libreville, le 24 novembre 2025. THIBAULT CAMUS / AP

La même histoire se répète, avec les mêmes arguments. La France continue d’aider la France au Gabon. Mais cette fois, elle assume d’aider les pays pauvres ou émergents pour servir ses intérêts. Eléonore Caroit, ministre déléguée chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l’étranger, y voit un « enjeu de puissance », tout en précisant qu’il s’agit d’une « puissance douce ». Elle ajoute que l’aide est « un outil d’influence pour porter nos valeurs à l’étranger, tout en facilitant le dialogue entre les sociétés civiles », et pour « ouvrir des marchés pour nos entreprises ». Bien sûr, l’aide sert aussi à réduire les inégalités dans le monde. Mais dans un contexte de rivalité entre blocs géopolitiques, ce n’est plus sa priorité.

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