La Serbie relance un projet controversé de mine de lithium avec le géant Rio Tinto

[depuis lemonde.fr]

Abandonné en 2022 après un important mouvement de contestation, le projet de mine de lithium de Jadar, dans le sud-ouest de ce pays des Balkans, vient d’être remis sur les rails par le président nationaliste Aleksandar Vucic. Les défenseurs de l’environnement promettent de se remobiliser.

Le gouvernement serbe avait officiellement annoncé en janvier 2022 « la fin » du projet et la révocation de toutes les licences accordées au géant minier anglo-australien Rio Tinto pour ouvrir sur le territoire de ce pays des Balkans l’une des plus grandes mines de lithium d’Europe. Mais, surprise, dimanche 16 juin, le président et homme fort de la Serbie, Aleksandar Vucic, a annoncé dans les colonnes du quotidien financier britannique Financial Times la relance de ce gigantesque projet minier visant à produire 58 000 tonnes de lithium par an.

Un volume suffisant pour « fournir 17 % de la production européenne annuelle de véhicule électrique », vante M. Vucic dans cette interview en justifiant son retournement deux ans et demi après son annonce d’annulation par de « nouvelles garanties » qui auraient été apportées par Rio Tinto pour rassurer l’opinion publique serbe, fortement opposée à la mine. Ce brusque changement de pied devrait soulager l’Union européenne (UE), qui essaie désespérément de sécuriser ses sources d’approvisionnement de ce minerai crucial pour la transition écologique.

Situé dans le sud-ouest de ce pays candidat à l’adhésion à l’UE, le filon de Jadar est en effet considéré depuis longtemps comme un des plus prometteurs du Vieux Continent. Mais, en 2022, M. Vucic, dirigeant nationaliste qui adore jouer avec les intérêts géopolitiques des grandes puissances, avait reculé face aux inquiétudes environnementales exprimées par les dizaines de milliers de Serbes descendus à plusieurs reprises dans la rue contre ce projet de mine.

Avec sa longue histoire d’atteintes environnementales, Rio Tinto n’avait pas réussi à rassurer sur sa capacité à préserver la qualité de l’eau de la rivière Jadar. A quoi il faut ajouter le rejet atavique de tout projet venu de l’Occident de la part du fort courant prorusse dans l’opinion serbe.
Pression des diplomates européens

« Rio Tinto n’a absolument pas fourni suffisamment d’informations aux citoyens ou au gouvernement serbe », avait fustigé la première ministre de l’époque, Ana Brnabic, une alliée de M. Vucic, en regrettant l’opacité de l’entreprise anglo-australienne. Désormais présidente du Parlement, celle-ci soutient pourtant à nouveau le projet et a promis d’organiser un débat entre les députés dans les prochains jours. Selon le Financial Times, M. Vucic compte organiser une rencontre avec tous les acteurs du projet minier « le mois prochain [en juillet] » à Belgrade avec pour objectif un début des activités « en 2028 », soit deux ans de retard sur le calendrier initial.

Si la relance du projet s’annonce aussi facile, c’est qu’en réalité il n’avait pas été totalement enterré, en dépit des annonces. Depuis 2022, Rio Tinto avait notamment continué d’acquérir des terres dans la région de Loznica, où la mine devrait avoir, en tout, une emprise de près de 400 hectares. Les diplomates européens – à commencer par les Allemands très inquiets pour l’approvisionnement de leur puissante industrie automobile – continuaient aussi discrètement à faire pression en coulisses sur la Serbie pour qu’elle revienne sur sa décision en promettant en contrepartie d’installer sur son territoire plusieurs activités liées à la mobilité électrique.

Après avoir largement gagné les élections législatives et locales qu’il a organisées respectivement fin décembre 2023 et début juin face à une opposition très remontée contre le projet de Rio Tinto mais aussi très faible et très divisée, M. Vucic a les mains libres pour faire accepter son changement de position aux 6 millions de Serbes au nom d’un impact économique considérable. Rio Tinto promet d’investir plus de 2,5 milliards d’euros et de créer plus de 1 300 emplois directs en Serbie. Les autorités serbes estiment que la mine va permettre à elle seule une hausse du produit intérieur brut de plus de 10 milliards d’euros par an.

Eau de pluie « collectée et traitée »

Dans ce qui ressemble à un effet d’annonce savamment orchestré, Rio Tinto avait publié, jeudi 13 juin, ses études d’impact environnemental préliminaires, longtemps gardées secrètes. Au fil de centaines de pages, Rio Tinto promet notamment aux populations locales de « respecter tous les standards européens » et d’« empêcher les infiltrations » d’eaux polluées dans le sol tandis que « l’eau de pluie qui aura été en contact avec le déchet sera collectée et traitée ». L’entreprise anglo-australienne a de nouveau vanté dimanche un projet « qui a le potentiel pour devenir un actif de classe mondiale ».

Les opposants au projet ont en revanche fustigé ce retournement. « Vucic peut dire ce qu’il veut, mais si tous les permis dont disposait Rio Tinto ont expiré, sur la base de quel acte juridique présente-t-elle au public son projet d’étude d’impact environnemental ? », s’est exclamé le parti d’opposition Soulèvement écologique qui avait émergé dans la politique serbe en 2021 et 2022 à l’occasion du mouvement anti-lithium.

« Je suis sûr que les citoyens serbes vont arrêter ce projet destructeur pour notre environnement », assure aussi Savo Manojlovic, un autre opposant qui s’était fait connaître en organisant des manifestations à l’époque contre la mine. Candidat aux élections municipales de Belgrade le 2 juin, il a toutefois été largement battu par le candidat du pouvoir.

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