Il y a un an, le gouvernement a annoncé l’ouverture, dans l’Allier, de la plus grande mine de lithium d’Europe. D’après un rapport inédit révélé par Disclose et Investigate Europe, le secteur, fortement contaminé à l’arsenic et au plomb, présente « un risque significatif pour l’environnement et la santé humaine ». Une véritable bombe à retardement passée sous silence par les autorités.
Roger Konaté est très fier de son système de pompage « fait maison ». D’un geste de la main, il désigne un tuyau qui, dans un imbroglio rafistolé, plonge dans le sol de son atelier pour rejoindre la source voisine. Pratique : de l’eau à volonté pour boire, se laver, arroser, abreuver sa chienne et ses chats. Il y a 10 ans, après la faillite de sa société de sécurité, le Marseillais de 56 ans a racheté « la maison, le ruisseau, le terrain pour 10 000 euros ! » Un bon plan trouvé sur le site de petites annonces, Viva street.
L’ancien patron fait la visite de son petit paradis avec le ravissement de ceux qui ont tout rénové de leurs mains. Autour de l’homme d’un mètre quatre-vingt-dix, des arbres, le bruit de l’eau et une végétation qui couvre des vestiges de l’ancien site minier du Mazet. Pendant plusieurs décennies, c’est ici, sur la commune d’Échassières, à la frontière de l’Allier et du Puy-de-Dôme, entre Montluçon et Clermont Ferrand, que les mineurs concassaient et nettoyaient le minerais. En 1962, à la faveur d’une baisse des cours, la mine a fermé, rejoignant environ 3 000 autres sites français. Une fois les galeries bouchées, les propriétaires sont partis, laissant les clefs à l’État. Ni l’un ni l’autre n’a pris la peine de dépolluer les lieux.
La fièvre du lithium
Il y a un an, la commune d’Échassières, 400 habitant·es, a fait la Une de la presse. Le 24 octobre 2022, Imerys, le géant français de l’extraction, a annoncé l’ouverture prochaine de la plus grande mine de lithium d’Europe. L’extraction du lithium, prévue pour 2028, devrait permettre de fournir 700 000 batteries aux futures voitures électriques 100 % made in France, et créer 1 000 emplois directs et indirects, selon l’entreprise. Ce projet titanesque est baptisé Emili pour « Exploitation de Mica Lithinifère par Imerys ».
Le jour même, le gouvernement a emboîté le pas. Emili serait le premier jalon de sa politique de transition vers les énergies renouvelables. Soutenu financièrement par l’État, le projet serait « exemplaire sur le plan environnemental et climatique », selon le ministre de l’économie Bruno Le Maire. « Le lithium sera extrait de manière responsable », promettait la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
Mais jusqu’à aujourd’hui, un élément est resté hors des radars : l’extrême pollution du secteur où se trouve le permis d’exploration attribué à Imerys. À cet endroit, à cause de l’activité minière passée, les sols et les eaux sont contaminés à l’arsenic et au plomb. Jusqu’à plus de dix fois les seuils de risque, comme le révèle un rapport alarmant déterré par Disclose et Investigate Europe (IE).
Une concentration en arsenic sept fois supérieure au seuil
Ce rapport inédit a été rédigé en 2018 par Geoderis, le bureau d’expertise public spécialisé dans l’après-mine. D’après ses conclusions, le secteur où Imerys explore actuellement les sous-sols est classé « E », le plus haut niveau de pollution minière du pays. Emili repose donc sur une bombe toxique « susceptible de présenter un risque très significatif pour la santé humaine et l’environnement », alerte Geoderis. Pourtant, trois ans après la publication du rapport, en 2021, le permis d’exploration d’Imerys a été renouvelé par Agnès Pannier-Runacher, alors ministre déléguée à l’industrie. Contacté, le ministère de la transition énergétique, qu’elle dirige aujourd’hui, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Dans le bourg d’Échassières, les habitant·es que nous avons interrogé·es assurent n’avoir jamais été informé·es des pollutions aux métaux lourds. Ni par la préfecture de l’Allier, ni par le maire, Frédéric Dalaigre, qui a salué l’annonce du projet dans la presse, mais qui a refusé de répondre à nos questions.
« Personne ne m’a jamais dit que mon terrain était pollué, témoigne Roger Konaté. Il y a bien un agent qui est venu faire des prélèvements il y a quelques années, mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles ensuite ». Geoderis a pourtant considéré que son terrain était fortement contaminé aux métaux lourds tels que le tungstène, le lithium, le plomb, le zinc, le cuivre et l’arsenic.
D’après les auteurs du rapport, la concentration en arsenic chez Roger Konaté serait de 190mg/kg*. Soit plus de sept fois le seuil de risque prévu par la Haute autorité de santé (HAS). Au-delà des limites fixées, l’institution recommande « aux médecins de prescrire un dépistage ». Outre le cancer de la peau, « l’exposition prolongée » à l’arsenic peut « provoquer des cancers de la vessie et des poumons », selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Pour le plomb, les taux de contamination sur la propriété de Roger Konaté, ont été estimés deux fois supérieurs « aux valeurs d’alertes proposées par le Haut conseil de la santé publique ». Les experts de Geoderis recommandent, là-aussi, un dépistage. De fait, « le plomb a des effets délétères à long terme chez l’adulte, notamment l’augmentation du risque d’hypertension artérielle, de problèmes cardiovasculaires et de lésions rénales », constate l’OMS.
« La préfecture ne nous a jamais demandé d’avertir la population »
Le maire de Nades (Allier)Un peu plus loin, à Nades, un hameau de 150 habitant·es, les experts se sont notamment arrêtés sur la propriété de la famille C., avec jardin, trampoline et balançoire. Deux enfants âgés de 8 et 10 ans vivaient là au moment de l’enquête publique. Selon les recommandations de Geoderis, leurs parents auraient dû être prévenus immédiatement afin qu’ils puissent prendre des mesures, comme le lavage soigné des mains. Pour cause : les enfants représentent la catégorie de la population la plus sensible à l’exposition aux métaux lourds. Contactée par différents moyens, la famille C. n’a pas retourné nos demandes d’entretien. Mais le maire de Nades, Henri-Claude Buvat, joint par téléphone, a été très clair : « Nous avons été prévenus des pollutions, mais la préfecture ne nous a jamais demandé d’avertir la population ». Un défaut d’information qui pourrait donner lieu au dépôt d’une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui par d’éventuelles victimes.
« De toute façon, personne ne vit là », expédie le cabinet de la préfète, Pascale Trimbach. Les quelque 2 000 habitants d’Echassières, de Nades et des villages limitrophes apprécieront.
Notre enquête nous a également conduit au musée Wolframines, qui relate « le monde fascinant des minéraux ». Du moins, c’est ce qu’on peut lire au-dessus de la porte d’entrée, franchie chaque année par des centaines d’enfants en sortie scolaire.
Ce 29 septembre, une dizaine d’écoliers trifouillent dans un monticule de roche blanche. Il s’agit du kaolin issue de la carrière voisine, appartenant à Imerys. Après l’atelier pratique, c’est la pause sandwich sur l’aire de pique-nique attenante au musée. Un terrain « impacté » à l’arsenic, au tungstène et au lithium, relève le rapport de Geoderis. Les experts ont recommandé que soit spécifiée la présence d’un ancien site minier sur place, mais rien n’a été fait. Il n’est pas non plus indiqué, comme le préconise le rapport, la nécessité du lavage des mains des enfants. « Ça ne se bouscule pas énormément dans ce musée », ose la préfecture de l’Allier pour justifier cette absence d’information. La nouvelle campagne d’exploration d’Imerys prévoit treize forages à proximité du musée.
Dérogations successives
Que se passera-t-il si Imerys creuse dans une terre déjà polluée ? Quid des nappes phréatiques ? Ces questions, Nora et Coralie (prénoms d’emprunt), militantes de Stop Mine 03 et Préservons la forêt des Colettes, deux associations locales qui se battent contre l’ouverture de la mine de lithium, se la posent depuis un an. Sans en connaître la réponse.
Nous avons donc soumis la carte des pollutions à Laure Laffont, ingénieure géochimiste de l’université de Toulouse. « Certains points à haute teneur en arsenic et quelques-uns de plomb se situent sur le périmètre d’exploration de la mine de lithium, relève la spécialiste des métaux lourds. Il ne faut pas que ces sols soient en contact avec les eaux souterraines ou qu’ils soient remobilisésdans le cadre de nouvelles entrées de galeries». Comprendre, de nouveaux forages risqueraient de disséminer un peu plus les métaux déjà présents dans les sols. Pour éviter la contamination des eaux, Laure Laffont précise que « les galeries doivent être faites de sorte à ce que l’écoulement des eaux souterraines ne change pas». L’autre risque d’exposition aux métaux toxiques pourrait venir des airs « avec toutes les particules émises lors du forage», selon Clément Evrard, directeur de recherche au CNRS, également consulté par Disclose.
Interrogé, Imerys assure avoir pris en compte « toutes les zones identifiées dans le rapport Geoderis». Selon l’entreprise, « l’exploitation» étant située à « une profondeur d’au moins 50 mètres de la surface et isolée dans un bloc de granit compact (…) la terre ne va pas être remuée ». Elle ajoute que des « études environnementales sont en cours et leurs conclusions seront rendues publiques lors du dépôt du dossier de demande d’autorisation».
Il était temps. Depuis 2021, l’entreprise échappe à toute enquête indépendante. Avant toute campagne de forage, la réglementation impose en effet la réalisation d’une étude pour évaluer l’impact du projet. Mais à trois reprises, en 2021, 2022 et 2023, Imerys en a été dispensée par la préfecture et son service chargé de l’environnement : la DREAL. Certes, l’entreprise a réalisé son propre rapport, mais celui-ci, publié en janvier 2023, n’a pas pris en compte les pollutions pré-existantes. Il laisse même entendre que les forages n’auront aucun impact sur les eaux souterraines : « Aucun périmètre de protection des eaux n’est concerné par le périmètre du [projet d’Imerys]. Actuellement, les eaux sont donc principalement destinées à l’arrosage et servent à abreuver les troupeaux».Des bêtes potentiellement contaminées, elles aussi, tout comme des jardins potagers. Le secteur comprend en effet plusieurs dizaines d’élevages de bovins essentiellement destinés à la vente et l’auto-consommation. Ces animaux doivent absolument éviter certains pâturages contaminés. Des exploitations dont Geoderis recommandait de condamner l’accès il y a six ans déjà.
Cette brochure est née de la volonté de lutter contre l’ouverture d’une mine de lithium à Echassières. Ce projet de mine est porté par la société multinationale IMERYS, dont l’extraction de minerai est la spécialité. Et si nous ne voulons pas de mine ici dans l’Allier, nous n’en voulons pas non plus ailleurs.
Depuis quelques années, le « nouvel or blanc » du capitalisme (le lithium) reçoit un intérêt croissant de la part des exploiteurs, et pour cause : il est indispensable à la production des batteries électriques que l’on retrouve dans les voitures, les vélos, les trottinettes et autres produits phares du « capitalisme vert ». Sous couvert de transition écologique, le passage au tout-électrique entraîne un accroissement de la production mondiale d’électricité, et doit légitimer la construction de tout ce qui permet de la produire, de la transporter ou de la stocker. Ainsi, cette lutte contre l’implantation d’une mine de lithium est intrinsèquement liée aux luttes contre le nucléaire, les centrales photovoltaïques, les éoliennes industrielles ou encore les lignes THT. Pour les auteur-es de cette brochure, combattre un géant de l’industrie minière est un moyen parmi d’autres de s’opposer à ce mythe de la transition écologique, et plus généralement à la société capitaliste dans son ensemble. D’ailleurs, si nous mettons l’accent sur la multinationale IMERYS, c’est bien parce que celle-ci représente à merveille ce que nous voulons détruire : le système capitaliste, colonialiste et productiviste.
Alors à nous de jouer, détruisons IMERYS et son monde !
1 – Le projet de mine de lithium dans l’Allier (p.3) 2 – Imerys, une rapide présentation (p.6) 3 – Actionnariat du groupe Imerys (p.8) 4 – Conseil d’Administration et Comité exécutif du groupe Imerys (p.10) 5 – Sites du groupe Imerys en France (p.14) 6 – Les filiales du groupe Imerys implantées en France (p.15) 7 – Ressources et documentation (p.16)
À travers le monde entier, des projets miniers se préparent, se lancent ou se relancent afin de répondre à la demande sans fin de l'industrie. Cette poussée extractiviste s'inscrit dans une nouvelle mue du capitalisme. Une mue prétendument "verte", avec ses voitures électriques, ses aérogénérateurs et ses batteries au lithium. Mais derrière la façade, c'est toujours le même désastre pour fabriquer un monde merdique : des mines qui ravagent les sols et polluent les cours d'eau, des patrons et des usines qui exploitent…
Raslamine prend pour point de départ la lutte contre un gros projet minier en france, celle d'une mine de Lithium à Échassières dans l'Allier, mais souhaite être un relais plus général des luttes contre cette nouvelle ruée minière (en europe comme ailleurs). L'envie, c'est de centraliser des infos souvent très éparses en allant grappiller, parfois un peu largement, le peu de ressources disponibles et voir que ça se bouge à différents endroits qui ne se rencontrent pas toujours. Ce site souhaite parler des actualités sur l'avancée des projets (autorisations de travaux, réunions publiques, nom des entreprises en lien avec le projet…), donner des ressources documentaires et analytiques (film, livre, podcast…), rendre accessibles des textes, affiches et autres matériels de diffusion et de lutte, filer des dates d'événements (à soutenir ou à pourrir), relayer les oppositions, les luttes et les bâtons dans les roues trouvés dans la presse ou envoyés par communiqué, et pourquoi pas être une tentative pour tisser des liens et peut-être faire naître des élans de solidarités.
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